lundi 24 septembre 2012

La voie mortelle

Angkor, les temples millénaires engloutis par la jungle, certains – les plus grands – redécouverts, d’autres encore inconnus, l’École française d’Extrême-Orient, l'école des Langues O’, des écritures indéchiffrables par le premier venu, tout cela m’avait fait rêver quand, adolescent, j’étais titillé par l’envie de devenir archéologue. Une envie à laquelle la lecture de La Bible arrachée aux sables, de Werner Keller, n’avait pas été étrangère, même si je m’étais déjà, moi-même, arraché aux carcans de la Bible.


Et voilà que l’on m’offrait un roman publié plus de cinquante ans plus tôt, par André Malraux : La voie royale (Gallimard, 1930). Cette « voie royale » était celle qui, du Siam au Cambodge, allait des Dangrek à Angkor. La voie des grands temples. Des parages que Malraux connaissait bien, pour avoir été attiré par ces temples comme le papillon par la flamme, au point de s’y brûler les ailes, condamné à trois ans de prison pour avoir pillé lesdits temples et dérobé des bas-reliefs. Ironique début de carrière pour celui qui, des décennies plus tard, sera le ministre de la Culture que l’on sait, ardent défenseur du patrimoine et de la création.


La lecture de La voie royale m’avait déjà secoué à ma première lecture. Depuis lors, il m’est arrivé de la relire, comme j’apprécie de relire d’autres romans de Malraux.
La voie royale plonge ses racines dans l’aventure khmère de Malraux. On y sent, dans le personnage du jeune archéologue Claude Vannec, le même appel tentateur pour les temples antiques perdus dans la jungle. On y sent l’appel de ces îlots de civilisation abandonnés dans un océan vert, humide, hostile. La fascination de Vannec pour son compagnon d’aventure, Perken, baroudeur danois (pas allemand, mais « danois à cause de la rétrocession du Schleswig imposée par le traité de Versailles »).
Mais cette Voie royale est un chemin vers l’enfer. Là-bas, au cœur de la forêt indochinoise, Vannec et Perken se lancent à la recherche à la fois des richesses de temples khmers, que Vannec compte bien monnayer de retour en Europe, et de Grabot, un déserteur, un homme pour lequel Perken avait « une grande sympathie et une grande méfiance ». Vannec et Perken sont, dans cette quête, liés l’un à l’autre par leurs obsessions respectives de la mort, de s’en affranchir en marquant le futur de leur empreinte. Ainsi, Perken rêve-t-il de « laisser une cicatrice sur cette carte » ; Il a longtemps caressé l’idée de créer une force militaire faite de guerriers de toutes les tribus libres jusqu’au Haut-Laos et de se tailler, à leur tête, un royaume à la faveur d’un conflit qui, selon lui, ne manquera pas d’éclater, enter colonisateurs et colonisés, ou entre colonisateurs seulement.


Vannec et Perken vont devoir affronter la forêt indochinoise, les trahisons de leurs guides, les lancettes empoisonnées, l’avancée, aussi, de la « civilisation » qui, par la route ou le chemin de fer, avance en pays « insoumis ». Pourtant, il ne faut pas s’y tromper ; nous sommes, ici, bien loin de Bob Morane ou d’Indiana Jones sur la piste de quelque temple, maudit ou pas. Il flotte ici l’odeur entêtante de cette pourriture qui ronge l’esprit et le corps. Le lecteur accompagne Vannec et Perken sur ce chemin sans retour, comme il accompagne Marlow remontant vers l’horreur incarnée par Kurtz dans Au cœur des ténèbres (1899) de Joseph Conrad, ou Willard remontant le fleuve vers le même Kurtz dans l’adaptation que Francis Ford Coppola a tiré de Conrad pour son Apocalypse Now (1979). La scène du sacrifice du buffle dans le film de Coppola me venait d’ailleurs facilement à l’esprit en lisant les mots de Malraux décrivant la mort d’un gaur.

Cette Voie Royale se révèle donc un chemin de plus en plus noir, dans un enfer vert, dans une moiteur où se mêlent rêves d’Eros et peur de Thanatos, la main tendue vers des rêves qui s’enfuient.


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Défis. Ce billet répond au défi suivant :



2 commentaires:

  1. Ce livre à l'air dense mais enrichissant, mon père m'a conseillé de lire la condition humaine pour débuter et je pense le lire à mon retour de France. Pour ce qui est de Bob Morane, ma soeur en faisant collection je vais continuer à les dévorer durant les prochaines vacances. J'ai l'intention d'écrire un bref portrait littéraire sur l'auteur qui à mon avis est un drôle d'oiseau. D'après ce que j'ai lu il a débuté sa carrière en écrivant des romans érotique sous une autre nom de plume. En parallèle il écrivait Bob Morane!

    Enfin, Joseph Conrad je ne le connais que de nom mais j'ai sur ma table de chevet La folie Almayer qu'il me tarde de lire aussi! Du boulot de lecture donc!

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  2. Je consacrerai à La condition humaine un prochain billet. Et d'autres à d'autres romans de Malraux, un auteur pour la personnalité et la plume duquel j'ai beaucoup d'affection.
    Quant à Conrad, il a publié des romans très forts, dont certains trouveront sûrement leur place dans le prochain défi que lancera Missycornish, sur les romans d'aventure. ;-)

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