Voici une aventure qui se déroule pendant la
guerre russo-turque.
La quoi ?
La guerre russo-turque !
D’accord, mais laquelle ?
Ah, il est vrai que la précision n’est pas
inutile, vu que ces deux empires, le russe et l’ottoman, ont
développé, sur plus de 350 ans, une persévérance certaine à se
faire la guerre l’un à l’autre. Celle-ci, donc, celle de
1877-1878, est la dixième ou la onzième, suivant que l’on compte,
ou pas, la guerre de Crimée sur la liste. Le tsar Alexandre II et
ses conseillers rêvent de construire un grand arc slave de la mer du
Nord à la Méditerranée, notamment en poussant les peuples slaves
d’Europe centrale – Bulgares, Roumains, Serbes, Bosniaques et
autres Monténégrins – à se libérer du joug ottoman et, bien
entendu, à venir se placer dans le giron « bienveillant »
de la grande Russie.
De son côté, l’empire ottoman était secoué
par des crises politiques internes (le sultan Abdülaziz abdique en
mai 1876, son neveu Mourad V lui succède mais ne règne que 3 mois
avant d'être emprisonné par son propre frère Abdülhamid II) et
des soulèvements de certains sujets (la rébellion bulgare de 1876
est écrasée dans le sang) et frappé par une très grave crise
économique.
Les autres puissances européennes, comme
l’Autriche-Hongrie et le Royaume-Uni n’hésite pas à souffler
sur les braises qui couvent entre Russie et Turquie.
Finalement, après d’intenses grenouillages pour
se trouver des alliés dans les Balkans, la Russie déclare la guerre
à la Turquie en avril 1877.
Voilà grossièrement planté le décor de ce
roman de Boris Akounine, Le Gambit turc (Touretskij Gambit, 1998 ;
traduction française 2001, aux Presses de la Cité, Editions 10/18,
collection Grands détectives n°3470, ISBN 2-264-03552-8).
Le terme « gambit » sonne d’une
manière familière aux oreilles des joueurs d’échecs. Aux
oreilles, aussi, des fans de la dernière série (1976-1977) des
Chapeau melon et bottes de cuir – The New Avengers,
en VO – dans laquelle Gareth Hunt interprète un personnage nommé
Mike Gambit, mais ceci est une autre histoire…
Jouer le gambit, c’est choisir de sacrifier le
pion du roi ou de la reine dès l’ouverture de la partie, pour se
mettre en position de prendre, par la suite, une pièce plus
importante à l’adversaire. Plus largement, c’est sacrifier une
pièce en espérant tirer, dans les coups suivants, un avantage
substantiel.
Nous avons donc des Russes, des Turcs, et un coup
aux échecs. Et un polar. Parce que c’est bien de là que je suis
parti. Quoique… j’écris « polar » mais c’est assez
réducteur. Certes, le « héros » né sous la plume de
Boris Akounine, Eraste Petrovitch Fandorine sert dans les rangs de la
police criminelle. Mais, outre le fait que Fandorine est assez peu
présent dans le roman, l’imbroglio dans lequel le lecteur se
retrouve plongé jusqu’au cou dans ce Gambit turc a une saveur de
roman d’espionnage plus que de roman « policier » au
sens habituel. Évidemment, je pourrais parler d’un « roman
policier d’espionnage de guerre », mais je crains la lourdeur
de l’étiquette.
Nous voici donc sur la ligne de front entre Russes
et Turcs, où il est question de repérer la taupe qui semble s’être
infiltrée au cœur de l’état-major russe au point d’en arriver
à modifier les ordres secrets et d’envoyer les troupes tsaristes
dans des embuscades meurtrières.
Le décor est planté, tous les acteurs de la
pièce vont entrer en scène, et j’ose dire que Boris Akounine nous
livre un spectacle qui lorgne plus du côté des romans-feuilletons
dix-neuvièmistes que du roman d’espionnage à la Eric Ambler :
ce Gambit turc ne manque pas de rebondissements, mais certains m’ont
paru un petit peu trop artificiels ; les personnages sont, pour
certains, si hauts en couleur qu’ils frôlent la caricature ;
et les vrais-suspects-faux-coupables sont pointés de manière si
appuyée que je n’ai pas réussi à les prendre pour des coupables
potentiels, les ficelles étaient trop grosses.
Je ne me suis pas vraiment ennuyé à la lecture
de ce polar, mais le classique chapitre de la « révélation
finale », celui où l’enquêteur dévoile tous les dessous de
l’affaire aux autres personnages – et donc au lecteur – ne m’a
pas cloué à mon siège. Je n’apprécie généralement pas ce
genre de chapitre, sauf quand le roman est très bien tourné et que
l’auteur rassemble sous mes yeux, sans jouer le narquois ni le
pédant, tous les indices qu’il avait semés au fil des pages et
que je n’avais pas repérés. Mais quand, dans le chapitre en
question, l’enquêteur met sur la table tous les indices qu’il a
récoltés en dehors des pages du roman, sans que le lecteur puisse
avoir la moindre idée de leur nature, ça me laisse totalement
froid.
J’aime être dupé par un auteur de roman à
énigme comme j’aime être dupé, dans la bonne humeur, par un
prestidigitateur qui fait son tour là, juste sous mes yeux, en
« close-up » comme on dit dans le métier. Mais les
grands spectacles de magiciens sur une estrade avec boules de feu et
musique en boîte, non merci.
Gérard Majax bernait les spectateurs avec son Y’a
un truc, où il prétendait expliquer un tour de magie mais les
embobinait en donnant à son tour une fin totalement inattendue.
J’espérais que Boris Akounine nous joue son intrigue de cette
manière ; j’aurais aimé tout voir, tout savoir (ou plutôt,
croire tout savoir), et être quand même surpris à la fin, quand il
m’aurait berné et m’aurait dit, sourire complice, aux lèvres :
« Y’a un turc ! ».
* * * * *
Pour les curieux et ceux qui veulent aller plus loin : ce roman a fait l’objet d’une adaptation
cinématographique, sous le titre Turetskiy Gambit (2005), une réalisation
de Dzhanik Fayziev, sur un scénario de Boris Akounine lui-même. Pour plus de détails, le site internet du film,
et la fiche du film sur le site IMDB.
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Défis. Ce billet répond aux défis suivants :
Ah Gambit... j'étais amoureuse de lui il y a ... 30-35 ans !!!
RépondreSupprimerVingt ans après cette série des New Avengers, le trio Patrick Macnee, Gareth Hunt et Joanna Lumley avait pris un coup d'vieux, à en juger par cette photo BBC. Mais "Gambit" était assez beau gosse, il faut le reconnaître. ;-)
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