Si l’on me demandait de citer, rapidement, des
mutineries célèbres dans la marine, il me viendrait à l’esprit
celle ayant touché la flotte de la Manche de la Royal Navy
britannique en 1797, celle des marins du cuirassé russe Potemkine
en 1905 (remarquablement portée à l’écran par Sergueï
Eisenstein en 1925), celle sur le destroyer chasseur de mines
états-unien USS Caine en 1944 (non moins remarquablement
portée à l’écran par Edward Dmytryk en 1954). Mais ce serait
hypocrite de prétendre que la première qui vient ne serait pas
celle survenue sur le navire britannique HMS Bounty en 1789.
Je n’irai pas rappeler les détails de cette
célèbre affaire, mais uniquement ses grandes lignes : ce
navire charbonnier, lancé en 1784 sous le nom de Bethia, a
été acheté par la Royal Navy en 1787, et chargé d’une mission
au long cours : se rendre jusqu’à Tahiti, en récupérer des
plants d’arbre à pain destinés à être cultivés aux Antilles
pour produire de la nourriture bon marché pour les esclaves. Au
cours de l’expédition, les relations entre le commandant du
navire, le lieutenant William Bligh (qui avait navigué, quelques
années plus tôt, avec le célèbre navigateur James Cook), se
dégradent jusqu’à ce que certains membres de l’équipage, sous
la conduite du second maître Christian Fletcher, se mutinent, en
avril 1789, seize mois après avoir appareillé d’Angleterre.
Fletcher et les mutins chassent du navire William Bligh et des hommes
lui étant restés fidèles (des aspirants, l’assistant du
chirurgien, l’écrivain du bord, des hommes d’équipage), qui
navigueront 47 jours et plus de 3.600 milles nautiques – soit plus
de 6.700 km – dans une chaloupe de 7 mètres de long, avant de
toucher terre au Timor. Les mutins, installés notamment sur l’île
de Pitcairn, ont eu, pour la plupart, un destin funeste, et, de son
côté William Bligh, acquitté en 1790 par la cour martiale qui le
juge pour la perte du Bounty, poursuivra sa carrière navale,
jusqu’à être vice-amiral de la Royal Navy en 1814.
Cette mutinerie est bien connue, pour les
historiens, par des documents divers contemporains de l’affaire (le
journal de Bligh, les minutes des procès, etc.). Mais, pour le grand
public, elle est surtout connue par les romans et surtout les films
qui s’en sont inspirés.
Charles Nordhoff et James Norman Hall ont écrit
une trilogie de romans sur la mutinerie et les épisodes qui l’ont
suivie : Mutiny on the Bounty (Little Brown and Company, 1932),
sur la mutinerie elle-même ; Men Against the Sea
(même éditeur, 1933-1934), sur l’odyssée de Bligh et des hommes
embarqués avec lui dans la chaloupe ; Pitcairn's
Island (même éditeur, 1934),
sur le destin des mutins. Chacun des romans a pour narrateur un
personnage réel ou fictionnel de cette épopée.
Les lecteurs
francophones pourront en trouver une traduction sous les titres
respectifs de Les révoltés de la « Bounty », 19
hommes contre la mer et Pitcairn (éditions Phébus,
collection Libretto, 2002, ISBN 978-2859408206, 978-2859408213 et
978-2859408220 respectivement).
Et ces romans ont servi de base à deux films :
D'abord Mutiny on the
Bounty / Les révoltés du Bounty
(1935), de Frank Lloyd, avec Charles Laughton (Bligh) et Clark Gable,
sans sa légendaire moustache (Fletcher). Ce film n’utilise pas les
éléments du troisième tome de la trilogie.
Puis Mutiny on the Bounty / Les révoltés du
Bounty (1962), de Lewis
Milestone, avec Trevor Howard (Bligh) et Marlon Brando (Fletcher).
Attention, de son côté, le film The Bounty
/ Le Bounty (1984) de Roger Donaldson, avec
Anthony Hopkins (Bligh) et Mel Gibson (Fletcher) est inspiré du
livre Captain Bligh and Mr. Christian (1972), de Richard Hough
(qui a également écrit sur la mutinerie du Potemkine).
S’il me fallait établir un classement de ce
trio de films, je serais bien embêté.
Le « meilleur Bligh » des trois est, à
mes yeux, celui incarné par Charles Laughton. C’est, d’ailleurs,
des trois acteurs incarnant Bligh celui qui avait, au moment du
tournage, l’âge le plus proche de celui de Bligh au moment de
cette mutinerie : William Bligh avait 35 ans et Charles
Laughton, 37 ; tandis que Trevor Howard et Anthony
Hopkins étaient âgés de 49 et 47 ans, respectivement.
Ma préférence va au Fletcher auquel Marlon
Brando donne vie. Mais je n’aurais pas voulu être à la place du
réalisateur Lewis Milestone et de
l’acteur Trevor Howard, qui ont eu à subir le comportement
erratique de Marlon Brando pendant ce tournage.
Et, visuellement, c’est probablement le film de
Roger Donaldson qui me plaît le plus. Et c’est celui qui donne de
Bligh une image plus conforme à l’Histoire et moins caricaturale,
plus complexe ; mais, en cela, Bligh-Hopkins perd parfois de la
force par rapport à Bligh-Laughton ou Bligh-Howard.
À vous de
vous faire votre propre idée sur ces trois films, chacun méritant
amplement le détour !
* * * * *
Pour une approche accessible et abondamment
illustrée de cette mutinerie, je ne saurais trop vous conseiller
L’histoire vraie des mutins de la Bounty, d’Yves Kirchner
(Gallimard, collection Découvertes, 1988, ISBN 978-2070530649).
* * * * *
Défis. Ce billet répond aux défis suivants :
Je connais cette histoire, j'ai visionné il y a quelques années le film avec Mel Gibson qui m'avait moyennement plu. Toutefois j'aimerai beaucoup lire le premier tome de la trilogie: les révoltés de la Bounty. J'aimerai également aussi voir la version avec Clark Gable, un acteur que j'affectionne beaucoup. Je crois l'avoir déjà vu dans beaucoup de films d'aventure.
RépondreSupprimerLa version avec Mel Gibson est un peu plus à l'eau de rose que les deux autres, qui sont plus centrées sur l'affrontement Bligh-Christian que sur les romances avec les Tahitiennes.
RépondreSupprimervoici un billet bien complet, j'avais vu une fois un reportage sur le sujet, ça m'avait fascinée et je m'étais promise de me pencher plus sur le sujet... C'était il y a des années... hum hum..
RépondreSupprimerLa mutinerie de la Bounty a donné lieu à une abondante production littéraire (fiction et non-fiction), et cinématographique et télévisuelle.
RépondreSupprimerLe "petit" livre chez Gallimard me semble un ouvrage facile à lire, pour une première découverte du sujet.