lundi 24 septembre 2012

Horizons méconnus

Trilogie de dessins et de mots, les aventures de Pieter Hoorn, de Franck Giroud (scénario) et Norma (dessin) nous font revivre ces temps où la connaissance des mers et des mondes à l’autre bout du globe pouvait faire – ou défaire – les fortunes des grandes compagnies maritimes européennes et la renommée des découvreurs et cartographes de ces confins.

En ce début des années 1690, c’est la Verenigde Oost-Indische Compagnie, la VOC, la Compagnie des Indes orientales fondée par les Provinces-Unies, qui règne sur les mers commerciales. Plus tard viendra le temps de la splendeur de l’East India Company britannique, et, plus modestement, de la Compagnie des Indes orientales française. Mais, hollandaise, anglaise ou française, une Compagnie des Indes, c’est surtout une entreprise aux dents longues, pas toujours honorable, brassant des capitaux non par poignées, mais par tonneaux, par ballots, par bateaux entiers. Et, en cette fin de XVIIe siècle, la VOC n’entend pas laisser ses affaires être bousculées par le retour, en plein Amsterdam, d’un marin censé avoir péri, avec tout le reste de l’équipage, dans le naufrage du Jupiter, aux antipodes.



Surtout que, à en croire le cartographe Pieter Hoorn, chez qui le marin survivant s’est réfugié avant de se faire assassiner, le Jupiter aurait fait naufrage, selon le point fait par son capitaine, au milieu de ce que les cartes en vigueur à l’époque considèrent comme les terres de la Nouvelle-Hollande (notre Australie d’aujourd’hui)...
Un équipage pas vraiment disparu au secours duquel la VOC ne s’est jamais lancée, des cartes pas vraiment fiables. La réputation de la VOC en pâtirait lourdement. Elle charge donc Pieter Hoorn, bien malgré lui, d’aller résoudre ce lointain mystère.
En pleine guerre de la Ligue d’Augsbourg (encore une qui voit Louis XIV en guerre contre le reste de l’Europe...), il va falloir jouer serré pour éviter tant les espions français que les encombrants alliés anglais ou les protestants ayant fui la France après la révocation de l’édit de Nantes une demi-douzaine d’années plus tôt : tous, en effet, avancent leurs propres pions sur cet échiquier complexe.



Au cœur de l’intrigue, le détroit entre la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Guinée, jadis décrit par Torrès (un navigateur portugais qui sera passé dans ces parages au début des années 1600) mais nié, depuis lors, par tous les autres explorateurs (même les plus grands de l’époque, comme Abel Tasman, au service de la VOC lui aussi) qui prétendaient la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle-Guinée soudées l’une à l’autre. Ainsi que la possibilité, pour les Français, d’installer une base ultramarine dans ces antipodes, capable de menacer Batavia (aujourd’hui Djakarta), plaque tournante du commerce hollandais dans cette partie du globe.



Évidemment, les rebondissements ne manquent pas, certains crédibles, comme la capture des aventuriers au large des côtes normandes et leur évasion des geôles françaises, d’autres moins crédibles. Parmi les éléments les moins crédibles, le fait de retrouver le Jupiter (tome 3, page 4), encore perché sur le récif sur lequel il s’est échoué. Je doute qu’un navire de bois soit capable de résister longtemps sur un récif battu par la houle.
Quant au rythme du récit, il se fait parfois si dense que l’on se plaît à imaginer qu’il aurait pu être aéré, sans pour autant être dilué, pour laisser le lecteur profiter de quelques respirations entre les scènes ou de moments pendant lesquels digérer le flot d’informations que le scénariste lui jette en pâture.



Malgré ces quelques défauts, cette trilogie en bandes dessinées, que l’on pourrait qualifier d’« aventure d’espionnage », reste une agréable lecture, vingt ans après sa parution.

Pieter Hoorn (éditions Glénat). Tome 1, La passe des cyclopes (1991, ISBN 978-2-7234-1327-5). Tome 2, Les rivages trompeurs (1992, ISBN 978-2-7234-1440-1). Tome 3, La baie des Français (1994, ISBN 978-2-7234-1790-7).


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Le lecteur amateur d’histoire maritime et de géographie de notre monde retiendra que le nom de Torrès a été donné à ce détroit par le géographe écossais Dalrymple en 1759, et que la réalité du détroit ne sera finalement confirmée que lors du premier voyage du capitaine James Cook, en 1770.



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Défis. Ce billet répond au défi suivant :

2 commentaires:

  1. Cette bande-dessinée à l'air bien, elle retrace l'une de mes périodes historiques favorites.
    Je ne lis pas assez de B.D car j'ai trop de romans encore à lire mais je devrais, d'autant que ma famille en raffole. Celle-ci plaira beaucoup j'en suis sûre à mon Père et ma sœur. Je note donc.

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  2. Le dessin de cette trilogie est "classique", et donc assez facilement abordable par des gens qui n'ont pas trop l'habitude de lire des BD, ou qui lisent des BD dont le graphisme ne sort pas trop des sentiers battus.

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