Angkor, les temples millénaires engloutis par la
jungle, certains – les plus grands – redécouverts, d’autres
encore inconnus, l’École française d’Extrême-Orient, l'école des Langues
O’, des écritures indéchiffrables par le premier venu, tout cela
m’avait fait rêver quand, adolescent, j’étais titillé par
l’envie de devenir archéologue. Une envie à laquelle la lecture
de La Bible arrachée aux sables, de Werner Keller, n’avait
pas été étrangère, même si je m’étais déjà, moi-même,
arraché aux carcans de la Bible.
Et voilà que l’on m’offrait un roman publié
plus de cinquante ans plus tôt, par André Malraux : La voie
royale (Gallimard, 1930). Cette « voie royale » était
celle qui, du Siam au Cambodge, allait des Dangrek à Angkor. La voie
des grands temples. Des parages que Malraux connaissait bien, pour
avoir été attiré par ces temples comme le papillon par la flamme,
au point de s’y brûler les ailes, condamné à trois ans de prison
pour avoir pillé lesdits temples et dérobé des bas-reliefs.
Ironique début de carrière pour celui qui, des décennies plus
tard, sera le ministre de la Culture que l’on sait, ardent
défenseur du patrimoine et de la création.
La lecture de La voie royale m’avait déjà
secoué à ma première lecture. Depuis lors, il m’est arrivé de
la relire, comme j’apprécie de relire d’autres romans de
Malraux.
La voie royale plonge ses racines dans
l’aventure khmère de Malraux. On y sent, dans le personnage du
jeune archéologue Claude Vannec, le même appel tentateur pour les
temples antiques perdus dans la jungle. On y sent l’appel de ces
îlots de civilisation abandonnés dans un océan vert, humide,
hostile. La fascination de Vannec pour son compagnon d’aventure,
Perken, baroudeur danois (pas allemand, mais « danois à
cause de la rétrocession du Schleswig imposée par le traité de
Versailles »).
Mais cette Voie royale est un chemin vers
l’enfer. Là-bas, au cœur de la forêt indochinoise, Vannec et
Perken se lancent à la recherche à la fois des richesses de temples
khmers, que Vannec compte bien monnayer de retour en Europe, et de
Grabot, un déserteur, un homme pour lequel Perken avait « une
grande sympathie et une grande méfiance ». Vannec et Perken
sont, dans cette quête, liés l’un à l’autre par leurs
obsessions respectives de la mort, de s’en affranchir en marquant
le futur de leur empreinte. Ainsi, Perken rêve-t-il de « laisser
une cicatrice sur cette carte » ; Il a longtemps caressé
l’idée de créer une force militaire faite de guerriers de toutes
les tribus libres jusqu’au Haut-Laos et de se tailler, à leur
tête, un royaume à la faveur d’un conflit qui, selon lui, ne
manquera pas d’éclater, enter colonisateurs et colonisés, ou
entre colonisateurs seulement.
Vannec et Perken vont devoir affronter la forêt
indochinoise, les trahisons de leurs guides, les lancettes
empoisonnées, l’avancée, aussi, de la « civilisation »
qui, par la route ou le chemin de fer, avance en pays « insoumis ».
Pourtant, il ne faut pas s’y tromper ; nous sommes, ici, bien
loin de Bob Morane ou d’Indiana Jones sur la piste de quelque
temple, maudit ou pas. Il flotte ici l’odeur entêtante de cette
pourriture qui ronge l’esprit et le corps. Le lecteur accompagne
Vannec et Perken sur ce chemin sans retour, comme il accompagne
Marlow remontant vers l’horreur incarnée par Kurtz dans Au cœur
des ténèbres (1899) de Joseph Conrad, ou Willard remontant le
fleuve vers le même Kurtz dans l’adaptation que Francis Ford
Coppola a tiré de Conrad pour son Apocalypse Now (1979).
La scène du sacrifice du buffle dans le film de Coppola me
venait d’ailleurs facilement à l’esprit en lisant les mots de
Malraux décrivant la mort d’un gaur.
Cette Voie Royale se révèle donc un
chemin de plus en plus noir, dans un enfer vert, dans une moiteur où
se mêlent rêves d’Eros et peur de Thanatos, la main tendue vers
des rêves qui s’enfuient.
* * * * *
Ce livre à l'air dense mais enrichissant, mon père m'a conseillé de lire la condition humaine pour débuter et je pense le lire à mon retour de France. Pour ce qui est de Bob Morane, ma soeur en faisant collection je vais continuer à les dévorer durant les prochaines vacances. J'ai l'intention d'écrire un bref portrait littéraire sur l'auteur qui à mon avis est un drôle d'oiseau. D'après ce que j'ai lu il a débuté sa carrière en écrivant des romans érotique sous une autre nom de plume. En parallèle il écrivait Bob Morane!
RépondreSupprimerEnfin, Joseph Conrad je ne le connais que de nom mais j'ai sur ma table de chevet La folie Almayer qu'il me tarde de lire aussi! Du boulot de lecture donc!
Je consacrerai à La condition humaine un prochain billet. Et d'autres à d'autres romans de Malraux, un auteur pour la personnalité et la plume duquel j'ai beaucoup d'affection.
RépondreSupprimerQuant à Conrad, il a publié des romans très forts, dont certains trouveront sûrement leur place dans le prochain défi que lancera Missycornish, sur les romans d'aventure. ;-)