Petite excursion, avec ce billet-ci, vers l’océan
Pacifique, à bord du Resolution (que les Anglais
appelleraient « la » Resolution, puisque que, pour
eux, les navires sont des objets au féminin) sous le commandement du
capitaine James Cook.
Les Français ont, quand il s’agit des « grands
marins », la mémoire sélective. Ainsi, ils retiennent
facilement les exploits des corsaires comme Dugay-Trouin ou Surcouf,
mais oublient tout aussi facilement les lourdes défaites
stratégiques face à des amiraux anglais exceptionnels, dont Nelson
n’est qu’un exemple parmi bien d’autres.
Pour ce qui est des explorateurs dans le Pacifique
au temps des Lumières, c’est un peu la même chanson. Bougainville
et Lapérouse sont portés au pinacle, tandis que Cook est regardé
du coin de l’œil seulement. C’est se montrer bien chauvin, et
bien ingrat envers James Cook. Rien ne prédisposait celui-ci à
aller accrocher son étoile dans le ciel des grands explorateurs.
Second fils d’un valet de ferme du Yorkshire, il était certes un
marin confirmé, mais avait fait ses classes dans la marine
marchande, et n’était donc pas aussi en vue que John Byron ou
Samuel Wallis, aristocratiques officiers de la Royal Navy à qui la
couronne britannique avait confié des expéditions vers le Pacifique
peu après la fin de la guerre de Sept Ans.
Et c’est sur un modeste navire charbonnier, sans
grande élégance mais construit pour affronter les mauvaises mers du
Nord avec ténacité, rebaptisé Endeavour, que James Cook,
appareille en 1768 pour les antipodes. Ce sera le premier de ses
trois « voyages » (les deux autres sur le Resolution,
un aviso de la Royal Navy), qui lui permettront de découvrir,
décrire et cartographier une très grande partie du Pacifique et de
ses îles, petites et grandes. Dans son premier voyage (1768-1771),
Tahiti et son archipel, la Nouvelle-Zélande, les côtes est et
nord-est de l’Australie, le détroit de Torres entre l’Australie
et la Nouvelle-Guinée. Dans son deuxième voyage (1772-1775), les
grandes latitudes Sud, jusqu’au cercle polaire antarctique, mais
aussi l’île de Pâques ou encore les Tuamotu. Et dans son
troisième voyage (1776-1779), encore le Pacifique Sud, puis une
remontée vers le Nord, les îles Sandwich, les côtes occidentales
du continent nord-américain, jusque dans l’océan Arctique à la
recherche du passage du nord-ouest par-delà le détroit de Béring
entre Amérique et Asie, et une redescente vers les îles Sandwich,
que ses habitants appellent Hawaï.
Hawaï, où un vol de chaloupe est l’étincelle
qui met le feu aux poudres entre Anglais et insulaires. Dans
l’escarmouche qui s’ensuivra, James Cook trouve la mort. C’est
le 14 février 1779.
C’est à la rencontre de ce James Cook que
Martin de Halleux invite les jeunes lecteurs, avec L’inconnu
du Pacifique (Bayard Jeunesse, 2001, ISBN 978-2227-739079). Un
récit à la première personne, où le capitaine Cook, compte, à sa
manière et en touches sensibles, ce qu’il retient de ce troisième
voyage dont il ne sait pas qu’il sera la dernier.
Et cet « inconnu du Pacifique » est
triple.
C’est, bien entendu, l’horizon inconnu, à la
lecture des ordres que l’Amirauté lui donne, qui l’envoient du
Pacifique Sud au Pacifique Nord. « J’ai glissé lentement
mon doigt sur la route imaginaire de mon bateau : départ
d’Angleterre, escale au sud de l’Afrique ; puis je descends
vers l’Antarctique, je passe sous l’Australie, j’arrive en vue
de la Nouvelle-Zélande, je gagne les îles de l’Amitié et Tahiti.
Après, c’est à peu près l’inconnu. »
C’est aussi l’inconnu de l’Autre. « Des
tribus aux rites étranges, aux langues incompréhensibles. Des êtres
que nous découvrirons, qui sait ? habitant dans les arbres, des
huttes ou cachés au fond de grottes sombres et humides ? Qui
sont-ils, ces hommes perdus au milieu du Pacifique ? »
Et, bien sûr, l’inconnu que l’on a en soi.
« D’ordinaire, j’aime ces moments étranges où je me
confronte à un inconnu plus riche que mon imagination. Mais, ce
soir-là, j’ai l’esprit ailleurs. Je ne comprends plus pourquoi,
depuis des années, je passe ma vie sur les océans du monde. Quelle
arrogance ! ».
Cependant, c’est aussi dans ces mêmes moments
que la lumière se fait. « Cela me semble si vain, soudain !
Pourtant, au fond de moi-même, j’ai toujours l’étrange
intuition que tout ceci, s’il est respectueusement mené, pourrait
un jour servir l’humanité. »
Arrogant et pétri de doutes, parfois despote avec
son équipage mais curieux du monde qui l’entoure, tel est le
capitaine Cook que ce roman nous fait découvrir. Puisse-t-il amener
les jeunes lecteurs (et les moins jeunes) à regarder ce James Cook
avec des yeux moins franco-chauvins, et à le voir pour ce qu’il
est, un des grands explorateurs de l’histoire, et probablement le
plus grand explorateur maritime du siècle des Lumières.
Et que ce portrait de Cook ne fasse pas oublier
tout ceux qui ont navigué avec lui, marins et officiers,
scientifiques et artistes. Parmi eux, pour l’anecdote, un maître
de manœuvre du nom de William Bligh.
William Bligh, Christian Fletcher, le (la ?)
Bounty, ça ne vous dit pas quelque chose ? Une autre
histoire, pour un autre billet !
Défis. Ce billet répond aux défis suivants :
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RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire et ce coup de chapeau à James Cook.
RépondreSupprimerLa difficulté d'explorer des étendues aussi vastes (et avec aussi peu de terres émergées), doublée de la difficulté de se localiser précisément à la surface du globe (tout au moins en longitude, puisque les moyens de calculer la latitude étaient déjà bien au point à cette époque-là), la faible vitesse du déplacement de ces navires, les conditions précaires de vie à bord, tout cela mérite en effet d'être souligné.