Je m’étais laissé tenter par le cocktail que
promettait la quatrième de couverture, une intrigue
ethnographico-policière, écrit par un anthropologue du CNRS, et par
le fait que ce roman était publié aux éditions Actes Sud (Éden
cannibale, Alain Testard, éditions Actes Sud, 2004, ISBN
978-2-7427-5130-3).
Je n’avais gardé qu’un vague souvenir de ma
première lecture de ce livre, le souvenir d’une déception
crispante. Je me suis pourtant replongé dans ces pages, à
l’occasion de ces défis littéraires que je compte relever.
Si vous êtes pressé(e) et que vous ne voulez que
la version courte de mon avis après cette deuxième lecture, la
voici : un ennuyeux ragoût hésitant entre pastiche de polar et
cours d’anthropologie, saupoudré d’attaques contre les
archéologues, de blagues à deux balles et d’énigmes tirés de
« recueils de jeux pour bronzer intelligent ».
Si vous avez le temps de lire une version longue,
installez-vous confortablement, je vais découper la bête…
L’idée de départ avait de quoi séduire :
une île d’Indonésie, sur laquelle vit un peuple organisé en
société matriarcale et aux règles très strictes quant à qui a
droit de se marier avec qui, est frappée par le meurtre d’un
missionnaire. Puis par d’autres meurtres. L’enquête
« policière » promettait d’être teintée
d’anthropologie, l’organisation sociétale de ce peuple et ses
coutumes semblant au cœur de l’intrigue.
« Au large de Sumatra en Indonésie, dans les îles imaginaires des Trobobar, habitent d’aimables sauvages. Ils vivent d’amour et de philosophie. Quand Hans y débarque en ethnologue pour vérifier les théories de son maître Véry-Strauss, plusieurs meurtres s’y produisent. La police, confrontée à un monde dont elle ignore le fonctionnement, devra laisser à l’anthropologue le soin de démêler l’écheveau d’une intrigue dont les mobiles se trouvent dans la pensée sociale et religieuse d’une culture différente. Au cœur de ce paradis des mers du Sud, meurtres, inceste, relations sociales, mythes et légendes se côtoient dans une énigme policière et une vraie course au faux trésor. » (quatrième de couverture)
(photographie : Christiaan Benjamin Nieuwenhuis, vers 1918 - source)
Mais ça se gâte dès les premiers chapitres.
Dans certains « romans historiques »,
et particulièrement dans les « polars historiques »,
certains auteurs ont la main lourde quand il s’agit de donner au
lecteur les clés de compréhension de la société dans laquelle se
déroule le roman. Pour peu que l’auteur soit historien de métier
et qu’il se prenne pour un auteur de polar dans ses loisirs, il
arrive fréquemment qu’il serve à ses lecteurs des cours
d’histoire déguisés, par exemple, en discussions entre
personnages. L’auteur de cet Éden cannibale, anthropologue de
métier, nous fait le même coup, mais avec des cours
d’anthropologie. Je m’intéresse à l’anthropologie tout comme
à l’histoire, mais je n’ai pas plus le goût des anthropologues
pontifiants que des historiens pontifiants. Sur ce point-là, cet Éden cannibale ne m’a fait aucun effet mordant.
Autre travers qui m’horripile : l’auteur
qui glisse des allusions à lui-même dans son roman. Je peux être
client d’autobiographies, pour autant qu’elles aient quelque
chose à dire. Mais les répliques du genre « Vous connaissez
Alain Testart ? » dans un roman écrit par ledit Testart
me sont aussi insupportables que les paroles de de rap dans
lesquelles l’auteur de la chanson parle de lui-même à la
troisième personne (je ne suis pas grand connaisseur du rap, mais
dans le peu que j’ai entendu d’une oreille distraite, j’ai
repéré ce genre de boursouflure d’ego).
Le mélange des genres, quand il est heureux, peut
donner de grands plaisirs de lecture. Pourquoi j’ai mangé mon
père, de Roy Lewis, est un exemple qui me vient immédiatement à
l’esprit. Mais, dans cet Éden cannibale, la juxtaposition des
cours d’« anthropologie pour les nuls » et d’humour
ras-des-pâquerettes fait pschitt. J’aurais dû me méfier, dès ma
lecture de la quatrième de couverture : ce personnage de
Véry-Strauss, clin d’œil à Claude Lévi-Strauss, lorgnait en
fait du côté de la 7e Compagnie. Ajoutons-y, entre
autres, le professeur Kiki-koko, et on entame la dégringolade vers
les ambiances à la Max Pécas (les plus masochistes d’entre vous
pourront se pencher sur son ultime film, On se calme et on boit frais
à Saint-Tropez).
Et, en guise d’intermèdes, le généreux Alain
Testart nous gratifie de quelques énigmes et jeux qu’il a
probablement piochés dans des recueils de tests psychotechniques,
des albums pour jouer l’été sur la plage, ou de vieux numéros de
Jeux & Stratégie, comme bouger deux (et seulement deux !)
des allumettes composant cette figure pour obtenir cette autre
figure.
Bref, tout comme un très bon historien peut se
révéler très mauvais auteur de roman historique, un (peut-être)
très bon anthropologue peut écrire un très mauvais roman
anthropologico-policier.
S’il n’était pas tombé dans ces différents
travers des leçons pontifiantes, de l’humour à deux balles et des
énigmes qui tombent comme des cheveux dans la soupe, Alain Testart
aurait pu nous régaler d’un roman solide et prenant, car il y a là
une matière originale, propre à attiser la curiosité et à
surprendre le lecteur.
Mais là, c’est un Éden cannibale qui, en fait,
ne m’a pas apporté grand-chose à me mettre sous la dent. À
part à considérer qu’il m’a donné la dent dure contre ce
roman…
* * * * *
Pour les amateurs de géographie fictive, voici où
Alain Testard situe l’archipel de son roman :
« Archipel des Trobobar – Océan Indien, lat. 1° 15’ sud, long. 96° 22’ est, à 400km à l’ouest de Sumatra, au-delà de l’archipel des Mentawi [...] (Éden cannibale, page 67).
Un petit tour sur le globe terrestre nous montre
que les coordonnées en question pointent une zone sans terres
émergées, propice à y « installer » le décor de cette
fiction.
* * * * *
Défis. Ce billet répond aux défis suivants :
Et bien je ne m'attarderai pas sur ce livre à piori peu ragoutant !!!
RépondreSupprimeroh oh, quel billet ! Autant dire que ce bouquin ne rejoindra pas ma PAL, mais ce fut un plaisir d'en entendre parler ;-)
RépondreSupprimer@ Géraldine : il ne faut pas s'en tenir à un "a priori", quand bien même ce serait mon avis détaillé. Je ne voudrais pas être le seul à avoir souffert de cette lecture !
RépondreSupprimer@ liliba : pour l'instant, je n'ai pas trouvé de critique développée de ce roman sur le net. Peut-être que mon billet poussera d'autres personnes l'ayant lu à donner elles aussi leur avis, avis qui pourrait aller en sens inverse du mien.
Bonjour Xavier! Dommage que tu n'ai pas aimé ce roman. D'après ce que tu en dis cela à tout l'air d'une daube littéraire. J'ai lu récemment un livre pour mon challenge Evasions tropicales, appelé le pays du long nuage blanc. Un journal de bord d'un auteur français contemporain apparemment illustre, Charles Juliet (que je ne connaissais pas!), c'était très mauvais, l'auteur était censé parler de son voyage en Nouvelle-Zélande mais au final il ne s'est focalisé que sur sa petite personne (bref un écrivain nombrilique à l'ego aussi démesuré que ton auteur anthropologue). Je ne me suis jamais sentie aussi frustrée en lisant un livre, j'avais envie de crier. Une perte de temps. Je n'ai rien appris, je me suis fais suer à plusieurs reprises et je me demande encore comme un tel livre a pu être publié. Il doit exister une certaine mafia littéraire... En tout cas merci pour ta participation. Bonne journée!
RépondreSupprimerJe ne pense pas qu'Alain Testart ait un égo démesuré (même s'il s'est glissé dans son propre roman). En tout cas, ce n'est pas cela qui m'a laissé sur le bord de la route, dans cette lecture, mais plutôt un ensemble de déplaisirs sur le style du livre.
SupprimerC'est simplement qu'il faut être passionné d'anthropologie pour savoir l'apprécier à sa juste valeur. Et éventuellement en avoir lu d'autres de lui, qui sont entièrement théoriques et anthropologiques ; rien à voir avec ce roman ; et qui permettent de mieux cerner jusqu'où il veut nous mener. "élément de classification des sociétés" "la déesse et le grain" "des dons et des dieux" en sont de bon exemples.
RépondreSupprimerAprès je suis d'accord, le style "semi-immersif" où il nous rappelle qu'il y a un auteur derrière ce livre, et que c'est lui peut déplaire... ça me fait penser au Monde de Sophie (bouquin que je n'est pas du tout aimé au passage), mais dans le cas présent c'est plus une réflexion qu'il faut mener tout le long du livre, qu'un roman que l'on aborde pour se détendre.
En l'occurrence, la question n'est pas d'être passionné ou pas d'anthropologie (pour ma part, je m'y intéresse en dehors de tout cadre professionnel). Je m'accorde donc le droit de trouver que ce roman est plombé par un style d'écriture pontifiant mâtiné d'humour lourdaud.
SupprimerCela n'enlève rien aux qualités que vous soulignez pour ses ouvrages académiques, dont je suis totalement ignorant, et dont je vous remercie pour l'aiguillage vers certains titres.
Oui, ce livre reste très "spéciale" on ne peut pas dire le contraire ; je n'arriverais pas à dire que je l'ai apprécier, mais il me parait tout aussi difficile ( alors c'est peut être parce que j'apprécie l'auteur) de le classer dans la catégorie des "mauvais bouquins".
RépondreSupprimerEn fin de compte je ne crois pas que ce soit parce que j'apprécierais particulièrement l'auteur ; récemment j'ai lu "les conspirateurs" de Shan Sa, j'ai été extrêmement déçus ( et il faut dire, un peu de la même manière que pour "Eden cannibale" : le début est bien, même géniale, et puis le mystère se liquéfie au fur et à mesure de l'oeuvre au lieu de s’enrichir. Pour, de plus, se terminer avec le même genre de fin bateau qui n'apporte rien à l'oeuvre). Mais le plus avec "Eden Cannibale" qui m'interdit de le classer salement, c'est que je n'ai pas l'impression d'avoir totalement perdu mon temps, bien que ce ne soit pas du haut niveau, intellectuellement.