Déclaration
liminaire : la « fantasy », ce n’est globalement
pas ma tasse de thé.
Non pas que je
considère ce genre comme « mineur », ce genre de
jugement catégoriel m’étant assez étranger. Ni que je considère
que ce genre – multiforme, s’il en est – est plus productif en
« mauvais » livres que d’autres ; je pourrais
citer des dizaines de mauvais polars ou de mauvais romans dans des
genres très différents. Mais, tout simplement, j’ai été élevé
au biberon des Alexandre Dumas, Henry de Monfreid, Fennimore Cooper,
Jack London et Joseph Peyré, puis des Dashiell Hammett et Chester
Himes, avant d’aller découvrir les Philip Dick et Philip Jose
Farmer. Mes rares excursions dans le monde de la fantasy l’ont
été vers des « classiques » de Tolkien (Le seigneur
des anneaux), de Michael Moorcock (Le chien de guerre) ou
de Jack Vance (Dying Earth), ou d’amuseries à la Gordon
Dickson (Le dragon et le georges).
Peu porté vers la
fantasy, j’ai donc peu de curiosité pour ce qui se publie
dans le domaine. Serpent qui se mort la queue. Alors, mes escapades
actuelles vers des romans de ce genre naissent d’échanges avec des
personnes que j’ai découvertes sur le net, avant qu’elles ne
deviennent auteurs de roman. Cela a été le cas avec Jean-Philippe
Jaworski, vers les Janua Vera et Gagner la guerre
duquel je ne serais peut-être pas allé sans les liens tissés au
fil du temps en nous côtoyant dans un forum ou en collaborant à une
création ludique.
Voilà aussi quelque
temps déjà que je côtoie Cédric Ferrand dans des forums et
échanges électronico-épistolaires. La publication de son Wastburg,
précédée d’informations dans les blogs et les forums qui
promettaient des histoires de miliciens urbains teintées d’humour
noir et de fange des rues, m’a conduit à franchir le pas. Sans
regret, ou presque.
Premier bon point :
pas d’univers boursouflé. Contrairement à ce qui me semble assez
répandu dans la fantasy (d’après ce que l’en lis
directement dans les romans, ou indirectement dans des discussions de
forum et des critiques dans des blogs), Cédric Ferrand ne s’est
pas gargarisé à pondre une cosmogonie qui n’apporterait rien au
récit, ni des cités et des personnages aux noms improbables,
imprononçables, et impossibles à retenir. Une ville entre deux bras
du delta d’un fleuve, une ambiance un peu « Moyen âge
tardif », assez familière pour qu’on y entre de plain-pied,
cela me semblait déjà de bon aloi. Ajoutons-y un fond d’ostracisme
entre les deux « communautés », Waelmiens et Loritains,
qui se côtoient sans trop se mélanger (voilà qui a un petit parfum
de tiraillements entre Wallons et Flamands), et, fait plutôt rare en
fantasy, l’absence presque totale de magie et de magiciens
(ah, les bienfaits de la « Déglingue » !), et
l’ensemble est plutôt savoureux. Avec Wastburg, je me suis
retrouvé dans un environnement à la fois connu et dépaysant comme
celui qu’a su créer François Bourgeon, en bande dessinée, avec
Les compagnons du crépuscule.
Mais, en miroir de
cela, premier regret, ressenti dès le premier chapitre et pas
démenti par la suite : les cailloux dans les lentilles. Il me
suffit d’un caillou dans une assiette de lentilles, le caillou qui
tape les dents, pour me priver d’une partie du plaisir de manger le
reste des lentilles avec insouciance. Si vous n’aimez pas les
lentilles, prenez un autre exemple qui vous convienne mieux : le
sable dans une fricassée de calmars, l’esquille d’os dans le coq
au vin, le plomb de chasse dans un salmis de palombes. Avec Wastburg,
j’ai trouvé deux types de cailloux dans les lentilles.
Certains étaient
évidents, et me sautaient aux yeux ; dommage, car une bonne
passe de relecture attentive aurait pu, et même dû, corriger les
fautes de grammaire et les mots erronés (le plafond de la cavité
buccale est le palais, et non le palet… sauf à en avoir pris un
dans la gueule au cours d’un match de hockey ; lapsus
calami de Cédric, dénotant qu’il est exilé depuis trop
longtemps en Belle Province ?).
D’autres étaient
plus insidieux, plus subjectifs, et j’ai mis plus de temps à m’en
rendre compte : je n’ai pas réussi à me sentir pleinement à
l’aise avec les mélanges de styles de langage, et notamment dans
les juxtapositions de langage populaire et d’argots plus
recherchés. J’ai apprécié les mots inventés pour donner une
couleur locale au parler des gardes, des taverniers, etc. J’ai
apprécié le recours à des argots un peu « classiques »
de la langue française (une richesse que l’on peut trouver dans
les romans d’Auguste Le Breton, pour ne citer que lui). Mais j’ai
éprouvé largement moins de jubilation lorsque le récit ou les
dialogues retombaient dans du langage familier, voire vulgaire,
d’aujourd’hui, qui me paraissait en décalage avec le reste,
parce que moins bien tenu, moins spécifique.
Cela étant dit,
passons aux autres bons points qui, sans me faire oublier totalement
les cailloux dans les lentilles, m’ont permis de faire un bon
repas.
D’abord, l’ambiance
générale de ce roman. Les gardoches de Wastburg, quand bien même
ils en ceignent, ce ne sont pas des épées ! Parfois estropiés
ou pistonnés, rarement idéalistes, souvent tire-au-flanc, toujours
à l’affût du petit trafic qui arrondit les fins de mois,
prisonniers de dettes anciennes ou récentes, portés sur la
bouteille, englués dans des compromissions avec des notables véreux,
et, pour autant, pas antipathiques, touchants, même, les voilà, les
gardes. Pas vraiment grand-chose à voir avec La Compagnie de
Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch ni avec La
Compagnie de Cornelis De Graeff, peintes toutes deux en 1642, par
Rembrandt et Jacob Backer respectivement. Sous le pinceau de Cédric
Ferrand, la Garde de Wastburg, c’est l’improbable croisement des
Ripoux et des Pieds Nickelés, avec les règlements de
compte sanglants à la Serpico (j’ajouterais bien, en ces
temps d’actualité chargée, une touche de BAC de Marseille, mais
je ne voudrais pas charger la barque…).
Et c’est en cela que
Wastburg m’a berné. Agréablement berné, je précise !
Avec ses premiers chapitres, je me suis laissé aller à croire que
j’avais entre les mains un recueil de nouvelles ayant toutes pour
cadre cette ville et pour personnages des membres de sa garde, avec
les portraits à gros traits de toute cette population colorée, des
marchands de courge aux ramoneurs qui chient dans les cheminées. Une
collection d’anecdotes tragicomiques, de chutes absurdes et de
magouilles foireuses. Au fil de ma lecture, pourtant, je me suis
rendu compte que je n’étais pas devant un kaléidoscope mais
devant un puzzle. Chaque chapitre apportait sa pièce, et le tableau
prenait forme, sans que j’en comprenne très bien le dessin, et le
dessein. Le final (qui n’en est pas un, à mes yeux, mais plutôt
la dernière des anecdotes de cette tragi-comédie) est à l’image
de la ville et de sa garde : à mi-chemin du grandiose et du
déliquescent, chacun a la tête dans les rêves et les pieds dans la
merde.
Pourquoi osé-je porter
ce roman dans un défi littéraire sur des polars ? Parce que,
finalement, plus qu’un « roman de fantasy »,
Wastburg me fait l’effet d’un de ces « polars
sociaux », où le portrait d’une ville, vue au niveau des
yeux de ses « flics », est plus important que l’intrigue
policière en elle-même. Alors, même si la fantasy n’est
pas votre tasse de thé, oubliez les frontières des genres et
laissez-vous embarquer pour une patrouille avec les gardoches.
* * * * *
Défis. Ce billet répond au défi suivant :
Intéressant, malgré les cailloux !
RépondreSupprimerLes cailloux ne doivent pas faire oublier le reste.
SupprimerJe reconnais que je suis particulièrement exigeant sur le fait qu'un éditeur mette sur le marché un livre sans que des fautes l'émaillent toutes les deux ou trois pages. Payer un livre 26€ (prix de vente de Wastburg (hors réduction de fidélité à ma libraire indépendante de quartier !), ça ne me pose pas de souci ; mais, à ce prix-là, je veux que ce soit un produit soigné.
Cela dit, cailloux mis à part, ce Wastburg mérite d'être découvert. C'est de la tambouille à manger entre deux patrouilles, directement dans la gamelle, sans chichis, arrosée d'un coup de rouge râpeux. Pour plonger directement dans l'ambiance !