jeudi 25 octobre 2012

Y a-t-il un flic pour sauver Wastburg ?

Déclaration liminaire : la « fantasy », ce n’est globalement pas ma tasse de thé.

Non pas que je considère ce genre comme « mineur », ce genre de jugement catégoriel m’étant assez étranger. Ni que je considère que ce genre – multiforme, s’il en est – est plus productif en « mauvais » livres que d’autres ; je pourrais citer des dizaines de mauvais polars ou de mauvais romans dans des genres très différents. Mais, tout simplement, j’ai été élevé au biberon des Alexandre Dumas, Henry de Monfreid, Fennimore Cooper, Jack London et Joseph Peyré, puis des Dashiell Hammett et Chester Himes, avant d’aller découvrir les Philip Dick et Philip Jose Farmer. Mes rares excursions dans le monde de la fantasy l’ont été vers des « classiques » de Tolkien (Le seigneur des anneaux), de Michael Moorcock (Le chien de guerre) ou de Jack Vance (Dying Earth), ou d’amuseries à la Gordon Dickson (Le dragon et le georges).
Peu porté vers la fantasy, j’ai donc peu de curiosité pour ce qui se publie dans le domaine. Serpent qui se mort la queue. Alors, mes escapades actuelles vers des romans de ce genre naissent d’échanges avec des personnes que j’ai découvertes sur le net, avant qu’elles ne deviennent auteurs de roman. Cela a été le cas avec Jean-Philippe Jaworski, vers les Janua Vera et Gagner la guerre duquel je ne serais peut-être pas allé sans les liens tissés au fil du temps en nous côtoyant dans un forum ou en collaborant à une création ludique.

Voilà aussi quelque temps déjà que je côtoie Cédric Ferrand dans des forums et échanges électronico-épistolaires. La publication de son Wastburg, précédée d’informations dans les blogs et les forums qui promettaient des histoires de miliciens urbains teintées d’humour noir et de fange des rues, m’a conduit à franchir le pas. Sans regret, ou presque.

Premier bon point : pas d’univers boursouflé. Contrairement à ce qui me semble assez répandu dans la fantasy (d’après ce que l’en lis directement dans les romans, ou indirectement dans des discussions de forum et des critiques dans des blogs), Cédric Ferrand ne s’est pas gargarisé à pondre une cosmogonie qui n’apporterait rien au récit, ni des cités et des personnages aux noms improbables, imprononçables, et impossibles à retenir. Une ville entre deux bras du delta d’un fleuve, une ambiance un peu « Moyen âge tardif », assez familière pour qu’on y entre de plain-pied, cela me semblait déjà de bon aloi. Ajoutons-y un fond d’ostracisme entre les deux « communautés », Waelmiens et Loritains, qui se côtoient sans trop se mélanger (voilà qui a un petit parfum de tiraillements entre Wallons et Flamands), et, fait plutôt rare en fantasy, l’absence presque totale de magie et de magiciens (ah, les bienfaits de la « Déglingue » !), et l’ensemble est plutôt savoureux. Avec Wastburg, je me suis retrouvé dans un environnement à la fois connu et dépaysant comme celui qu’a su créer François Bourgeon, en bande dessinée, avec Les compagnons du crépuscule.


Mais, en miroir de cela, premier regret, ressenti dès le premier chapitre et pas démenti par la suite : les cailloux dans les lentilles. Il me suffit d’un caillou dans une assiette de lentilles, le caillou qui tape les dents, pour me priver d’une partie du plaisir de manger le reste des lentilles avec insouciance. Si vous n’aimez pas les lentilles, prenez un autre exemple qui vous convienne mieux : le sable dans une fricassée de calmars, l’esquille d’os dans le coq au vin, le plomb de chasse dans un salmis de palombes. Avec Wastburg, j’ai trouvé deux types de cailloux dans les lentilles.
Certains étaient évidents, et me sautaient aux yeux ; dommage, car une bonne passe de relecture attentive aurait pu, et même dû, corriger les fautes de grammaire et les mots erronés (le plafond de la cavité buccale est le palais, et non le palet… sauf à en avoir pris un dans la gueule au cours d’un match de hockey ; lapsus calami de Cédric, dénotant qu’il est exilé depuis trop longtemps en Belle Province ?).
D’autres étaient plus insidieux, plus subjectifs, et j’ai mis plus de temps à m’en rendre compte : je n’ai pas réussi à me sentir pleinement à l’aise avec les mélanges de styles de langage, et notamment dans les juxtapositions de langage populaire et d’argots plus recherchés. J’ai apprécié les mots inventés pour donner une couleur locale au parler des gardes, des taverniers, etc. J’ai apprécié le recours à des argots un peu « classiques » de la langue française (une richesse que l’on peut trouver dans les romans d’Auguste Le Breton, pour ne citer que lui). Mais j’ai éprouvé largement moins de jubilation lorsque le récit ou les dialogues retombaient dans du langage familier, voire vulgaire, d’aujourd’hui, qui me paraissait en décalage avec le reste, parce que moins bien tenu, moins spécifique.

Cela étant dit, passons aux autres bons points qui, sans me faire oublier totalement les cailloux dans les lentilles, m’ont permis de faire un bon repas.
D’abord, l’ambiance générale de ce roman. Les gardoches de Wastburg, quand bien même ils en ceignent, ce ne sont pas des épées ! Parfois estropiés ou pistonnés, rarement idéalistes, souvent tire-au-flanc, toujours à l’affût du petit trafic qui arrondit les fins de mois, prisonniers de dettes anciennes ou récentes, portés sur la bouteille, englués dans des compromissions avec des notables véreux, et, pour autant, pas antipathiques, touchants, même, les voilà, les gardes. Pas vraiment grand-chose à voir avec La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch ni avec La Compagnie de Cornelis De Graeff, peintes toutes deux en 1642, par Rembrandt et Jacob Backer respectivement. Sous le pinceau de Cédric Ferrand, la Garde de Wastburg, c’est l’improbable croisement des Ripoux et des Pieds Nickelés, avec les règlements de compte sanglants à la Serpico (j’ajouterais bien, en ces temps d’actualité chargée, une touche de BAC de Marseille, mais je ne voudrais pas charger la barque…).


Et c’est en cela que Wastburg m’a berné. Agréablement berné, je précise ! Avec ses premiers chapitres, je me suis laissé aller à croire que j’avais entre les mains un recueil de nouvelles ayant toutes pour cadre cette ville et pour personnages des membres de sa garde, avec les portraits à gros traits de toute cette population colorée, des marchands de courge aux ramoneurs qui chient dans les cheminées. Une collection d’anecdotes tragicomiques, de chutes absurdes et de magouilles foireuses. Au fil de ma lecture, pourtant, je me suis rendu compte que je n’étais pas devant un kaléidoscope mais devant un puzzle. Chaque chapitre apportait sa pièce, et le tableau prenait forme, sans que j’en comprenne très bien le dessin, et le dessein. Le final (qui n’en est pas un, à mes yeux, mais plutôt la dernière des anecdotes de cette tragi-comédie) est à l’image de la ville et de sa garde : à mi-chemin du grandiose et du déliquescent, chacun a la tête dans les rêves et les pieds dans la merde.

Pourquoi osé-je porter ce roman dans un défi littéraire sur des polars ? Parce que, finalement, plus qu’un « roman de fantasy », Wastburg me fait l’effet d’un de ces « polars sociaux », où le portrait d’une ville, vue au niveau des yeux de ses « flics », est plus important que l’intrigue policière en elle-même. Alors, même si la fantasy n’est pas votre tasse de thé, oubliez les frontières des genres et laissez-vous embarquer pour une patrouille avec les gardoches.


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2 commentaires:

  1. Intéressant, malgré les cailloux !

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    1. Les cailloux ne doivent pas faire oublier le reste.

      Je reconnais que je suis particulièrement exigeant sur le fait qu'un éditeur mette sur le marché un livre sans que des fautes l'émaillent toutes les deux ou trois pages. Payer un livre 26€ (prix de vente de Wastburg (hors réduction de fidélité à ma libraire indépendante de quartier !), ça ne me pose pas de souci ; mais, à ce prix-là, je veux que ce soit un produit soigné.

      Cela dit, cailloux mis à part, ce Wastburg mérite d'être découvert. C'est de la tambouille à manger entre deux patrouilles, directement dans la gamelle, sans chichis, arrosée d'un coup de rouge râpeux. Pour plonger directement dans l'ambiance !

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