Dans de précédents billets, j’ai abordé le roman Les liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos, et posé
quelques réflexions sur les difficultés à adapter un tel roman épistolaire au cinéma, en prenant en exemple les films de Stephen Frears et de Milos Forman. Je reviens en détail ici sur celui de
Frears et, dans un billet voisin, sur celui de Forman.
La version de Stephen Frears, Les liaisons dangereuses
(1988), est un bijou de réalisation et de jeu d’acteurs.
La distribution des rôles principaux a recours à
quelques étoiles de cette fin des années 1980 ou de futures étoiles
des années 1990 et 2000 : Glenn Close (la marquise de
Merteuil), John Malkovich (le vicomte de Valmont), Michelle Pfeiffer
(la présidente de Tourvel), Keanu Reeves (le chevalier Danceny) et
Uma Thurman (Cécile de Volanges). Michelle Pfeiffer devait avoir une
aura particulièrement « choderlosdelaclosienne », à
l’époque, puisqu’elle s’était également vu proposer le rôle
de de Mme de Merteuil dans… le Valmont de Milos Forman,
tourné au même moment !
Comme dans la majorité de ses films, John
Malkovich est excellent dans celui-ci ; il porte à merveille,
jusque dans els cabotinages, son rôle de séducteur au cœur froid,
dont l’armure de froideur va se fendre sous le feu que lui inspire
la présidente de Tourvel. Glenn Close, elle, colle très bien au
rôle machiavélique de la marquise de Merteuil ; sa dureté et
son obsession de garder le pouvoir sur un homme ne sont pas sans me
rappeler son rôle d’amante envahissante et déterminée devenant
le cauchemar du personnage incarné par Michael Douglas dans Fatal
Attraction / Liaison fatale (1987) d’Adrian Lyne. Le
recours à ces stars les éloigne toutefois des personnages du roman
quant à leurs âges : Glenn Close vient d’entrer dans la
quarantaine au moment du tournage, Michelle Pfeiffer et Malkovich ne
sont que de 5 ans ses cadets. Ce sont Uma Thurman (18 ans) et Keanu
Reeves (24 ans) qui apportent une vraie image de jeunesse.
Michelle Pfeiffer campe très bien Madame de
Tourvel, la citadelle de vertu supposément imprenable. Et Uma
Thurman incarne une délicieuse Mlle de Volanges, trop ingénue pour
ne pas être broyée dans la partie d’échecs qui se joue autour
d’elle. Leurs interprétations ont, d’ailleurs, été saluées
par la critique et, pour John Malkovich, Glenn Close et Michel
Pfeiffer, couvertes de récompenses ou d’accessit (dont une
nomination aux Oscars pour chacune des deux dames !).
Le film lui-même est de haute tenue. Une
réussite, soit dit en passant, pour le premier film de commande
réalisé par Stephen Frears pour la Warner Bros à Hollywood, lui
jusque-là habitué à mener sa barque de réalisateur indépendant
et à budget modeste en Angleterre. Comme quoi, le talent ne se
commande pas, mais un réalisateur talentueux peut livrer une belle
œuvre de commande. Aidé en cela, il faut le dire, par le très bon
travail d’adaptation mené par Christopher Hampton (ce qui lui vaut
un Oscar).
Le
film n’est d’ailleurs pas l’adaptation directe du roman, mais
l’adaptation au cinéma de l’adaptation en pièce de théâtre
que Hampton en avait fait quelque temps auparavant ; une
adaptation créée à Londres en 1985 par la Royal Shakespeare
Company, avant de triompher à Broadway en 1987. C’est avec Alan
Rickman qui incarnait Valmont sur scène à Londres ; le même
rôle lui a été proposé pour le film, mais il a préféré
rejoindre l’équipe de Die Hard / Piège de Cristal (1988)
de John McTiernan. Ayant, pour Alan Rickman, une sympathie née de
l’avoir apprécié dans des rôles aussi divers que chef de bande
criminelle (Die Hard
précité), shérif tragicomique de Nottingham (Robin Hood,
1991), ou fantôme préoccupé du bonheur de sa veuve (Truly Madly
Deeply, 1990), j’aurais vraiment aimé le voir en Valmont.
Pour l’anecdote, la pièce de Hampton a été
reprise, en 2012, par la compagnie australienne Sydney Theater
Company.
La direction de la photographie, assurée par
Philippe Rousselot, est à la hauteur de ce qu’il avait fait pour
The Emerald forest / La
forêt d’émeraude (1985) de John Boorman, ou L’ours
(1988) de Jean-Jacques Annaud, ou de ce qu’il fera plus tard pour A
River Runs Through It / Et au milieu coule une rivière (1992) de
Robert Redford ou La reine Margot (1994) de Patrice Chéreau
pour ne citer que ceux-là.
Je pourrais reprocher à ce film d’être resté
dans une approche somme toute très « sage », dans
l’image, dans la construction, dans le récit. Une audace
supplémentaire aurait été leabienvenue, à mes yeux (sans
atteindre, pour autant, le déchaînement rock’n’roll de la Marie
Antoinette (2006) de Sofia Coppola). Parce que ces Liaisons
dangereuses cinématographiques sont quand même loin de
bousculer les convenances, de chahuter le spectateur, comme le roman
pouvait bousculer les convenances et chahuter le lecteur. C’est un
beau spectacle, aux dialogues ciselés, auquel il manque, à mon
goût, quelque chose qui donnerait un coup de poing dans le ventre.
Mais je ne vais pas bouder mon plaisir : ce
film me convient déjà très bien comme ça !
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Défis. Ce billet répond aux défis suivants :
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