Milieu des années 1990. Saigon et le Sud-Vietnam sont tombés
depuis plus de vingt ans. Pour certains, la ville a retrouvé son
nom, qui a repris le dessus sur Ho Chi Min Ville. Les plus jeunes
semblent même n’avoir aucun lien avec ce passé de guerre et de
troubles. Aussi bien les jeunes Vietnamiens qui, portés par l’esprit
d’entreprise, rêvent de se construire une vie meilleure, que les
jeunes États-uniens qui viennent là en touristes, sac au dos, comme
leurs aînés se rendaient à Katmandou.
Mais, pour d’autres, la guerre est encore très présente dans
les esprits, dans les cœurs, dans les tripes. Pour certains, anciens
combattants vietminh, c’est une haine sourde, qui brûle encore au
plus profond de l’âme, nourrie du souvenir atroce d’une famille
massacrée. Pour d’autres, anciens GI, le remords lancinant de
faits d’armes peu glorieux, où les civils « payaient »
à la place des soldats ennemis invisibles, introuvables. Pour
d’autres encore, parents d’anciens combattants, c’est l’espoir
ténu, presque irréaliste, que le fils ou le frère disparu au
combat n’est pas mort, mais prisonnier dans un camp secret.
Le suicide d’un ancien GI dans un modeste hôtel d’un quartier
populaire de Saigon, le Hanh Hoa qui donne son titre à ce roman de
Thomas Bronnec, La fille du Hanh Hoa (éditions
Rivages, collection Rivages
Noir, 2012, EAN13
9782743623821), sonne les trois coups de l’ouverture
d’une tragédie dont les personnages sont aussi divers que cela,
plongés dans un tissu de demi-vérités et demi-mensonges, de
souvenirs cachés et secrets de famille. Jusqu’à la révélation
finale, que les connaisseurs de polars auront probablement devinée
en arrivant aux deux-tiers du livre, mais qui ne fait tout de même
pas s’étioler la tension du récit.
D’autant que Thomas Bronnec arrive à rendre particulièrement
vivants tant Saigon et ses campagnes avoisinantes que toute sa
galerie de personnages principaux et secondaires. Cette chair donnée
aux décors aussi bien qu’aux protagonistes est probablement le
fruit de l’expérience de l’auteur en tant que journaliste et de
ses séjours au Vietnam : les détails du quotidien sont
intimement liés au fil du récit, et non artificiellement plaqués
comme c’est parfois le cas dans des polars « exotiques »
ou « historiques ».
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Pour l’anecdote, je signalerai quand même le film Off Limits
/ Saigon, l’enfer pour deux flics (1988) de Christopher
Crowe, porté par le quatuor Willem Dafoe, Gregory Hines, Fred Ward
et Scott Glenn. En 1968, en pleine guerre du Vietnam, deux membres du
département des enquêtes criminelles de l’US Army travaillent sur
une série de meurtres de prostituées à Saigon. Le duo de flics
est, certes, un peu convenu (le gentil / le méchant, le Blanc / le
Noir, les piques fréquentes qu’ils s’envoient mutuellement),
mais sans que le film bascule pour autant dans la comédie policière
black’n’white popularisée, quelques années plus tôt, par des
succès comme 48 Hrs / 48 heures (1982) de Walter Hill
ou Lethal Weapon / L’arme fatale (1987) de Richard
Donner.
Tourné en partie dans les « quartiers chauds » de Bangkok, ce film, sans être un « grand polar », vaut tout de même le détour, pour le portrait qu’il brosse de l’arrière de ce théâtre d’opérations, et de l’effondrement de certaines barrières morales en tant de guerre.
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Défis. Ce billet répond au défi suivant :
Un polar qui fait voyager, c'est sympa !
RépondreSupprimerOui, et tout particulièrement quand ça fait découvrir un "terrain d'enquête" qui sort des sentiers battus.
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