Dans de précédents billets, j’ai abordé le roman Les liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos, et posé
quelques
réflexions sur les difficultés à adapter un tel roman épistolaire au
cinéma, en prenant en exemple les films de Stephen Frears et de Milos
Forman. Je reviens en détail ici
sur celui de Forman, après le billet sur celui de Frears.
Le Valmont (1989) de Milos Forman
a eu le malheur d’arriver sur les écrans quelques mois après Les
liaisons dangereuses de Stephen Frears, s’inscrivant donc dans
un sillage déjà tracé. C’est regrettable pour le film de Forman,
car lorsqu’il s’agit d’en parler, il est quasiment inévitable
que la comparaison avec celui de Frears arrive dans la conversation.
Le film de Frears était déjà moins choc – car
volontairement plus chic – que le roman de Choderlos de Laclos.
Celui de Forman semble encore moins anguleux, presque plus
autocensuré. Ainsi, le scénario de Jean-Claude Carrière, qui
s’inspire bien sûr du roman, s’en éloigne largement plus que
celui qu’a écrit Hampton pour Frears. Chez Laclos, Cécile de
Volanges est violée par Valmont, et se fait avorter du fruit de ce
viol ; chez Forman, Cécile est séduite par Valmont et en porte
l’enfant. Chez Laclos, Mme de Tourvel se laisse mourir de chagrin ;
chez Forman, elle se réfugie auprès de son mari qui passe
généreusement l’éponge sur son infidélité passagère.
Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai
pas dit : Jean-Claude Carrière n’est ni un manchot ni un
traître systématique quand il s’agit d’adapter un roman au
cinéma : ce qu’il a écrit pour Le retour de Martin Guerre
(1982) de Daniel Vigne (à partir du roman de Janet Lewis), pour The
Unbearable Lightness of Being / L’insoutenable légèreté
de l’être (1988) de Philip Kaufman (roman de Milan Kundera)
pour pour le Cyrano de Bergerac (1990) de Jean-Paul Rappeneau
(pièce d’Edmond Rostand), ce n’est quand même pas torché sur
un coin de table. Mais, pour distiller la cruauté et la provocation
du roman de Choderlos de Laclos, peut-être fallait-il quelqu’un
capable de plonger sa plume dans une encre plus retorse, plus
déchirante, que celle avec laquelle Carrière a écrit ce Valmont.
Trop gentil, au fond de lui, Jean-Claude Carrière ?
Même les acteurs choisis pour les rôles
principaux semblent plus ronds, que ce soit les prédateurs ou les
proies. Par exemple, Colin Firth (le Valmont de Forman) n’a pas le
petit sourire carnassier de John Malkovich (le Valmont de Frears).
Dans son rôle de séducteur, Firth semble plus fragile que
Malkovich, presque moins froid ; le contraste que le roman
établit entre le Valmont conquérant glacial du début et le Valmont
déboussolé par ses sentiments enfin « humains » de la
fin, s’en trouve diminué. Par contraste, si Annette Benning (Mme
de Merteuil vue par Forman) donne une impression physique de moins de
dureté que Glenn Close (Mme de Merteuil chez Frears), cela la rend
plus dangereusement séduisante.
La distribution des rôles est allée à des
acteurs plus jeunes que pour les mêmes rôles dans le film de
Frears : Colin Firth (Valmont) a 29 ans, Annette Benning (Mme de
Merteuil) en a 31, Henry Thomas (Danceny ; avez-vous reconnu en
H. Thomas celui qui, en 1982, incarnait Elliott dans E.T. the
Extra-Terrestrial, de Steven Spielberg ?) juste 17, et
Fairuza Balk (Cécile de Volanges) pas plus de 15 ! Évidemment,
la représentation – ou même simplement, l’évocation –, sur
grand écran, du viol d’une jeune fille de 15 ans (et qu’importe,
alors, l’âge du violeur) aurait été de nature à indisposer
grandement le public potentiel de ce film.
Dans ce Valmont, la marquise de Merteuil et
le vicomte de Valmont sont donc peints sous un jour moins détestable
que dans le roman de Choderlos de Laclos, ou dans le film de Frears.
Forman semble désirer nous en donner l’image de deux êtres qui
veulent enterrer les conformismes mais qui finissent par tomber dans
la fosse qu’ils ont creusée. En faisant de Valmont (ou, peut-être
plus précisément, du duo Valmont-Cécile) le personnage principal
de son film, Milos Forman distingue Valmont de Mme de Merteuil, et
fait même de celui-là une victime de celle-ci.
Tant qu’à t’éloigner du roman, Milos – et
cet éloignement est tout aussi légitime que la fidélité au texte
originel – pourquoi n’as-tu pas poussé plus loin l’énergie,
l’audace ? Ridley Scott s’est emparé du roman de Philip K.
Dick Do Androids Dream of Electric Sheep? / Les androïdes
rêvent-ils de moutons électriques, pour en faire le superbe
Blade Runner (1982), film noir et philosophique. De ton côté,
tu avais dynamité Mozart dans Amadeus (1984), le peignant en
rock-star déjantée, en génie foutraque et vulgaire, attachant et
odieux. Pourquoi, après une première moitié de film porteuse
d’émotion et de sensualité, es-tu resté si sage avec ce
Valmont ? On pardonne tout aux traîtres, pour autant que
leur trahison soit grande, belle, forte.
Quand tu as décidé de
trahir Choderlos de Laclos, où était donc passée ta folie ?
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Défis. Ce billet répond aux défis suivants :
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