« Alors on est revenu à pied
À pied tout autour de la terre
À pied tout autour de la mer
Tout autour du soleil
De la lune et des étoiles
À pied, à cheval, en voiture et en bateau à voiles. »
À pied tout autour de la terre
À pied tout autour de la mer
Tout autour du soleil
De la lune et des étoiles
À pied, à cheval, en voiture et en bateau à voiles. »
Jacques Prévert, En sortant de l’école
À défaut de l’avoir lu dans un recueil des
œuvres de Prévert, vous l’avez peut-être entendu chanté par
Yves Montand. Aujourd’hui, c’est à un tour autour de la terre et
de la mer, en bateau à voiles, que je vous invite.
Bien connu des livres scolaires d’histoire,
Fernão de Magalhães (que nous, francophones, appelons Fernand de
Magellan) est souvent cité comme le premier à avoir bouclé une
circumnavigation. A tort, puisque son périple personnel s’est
achevé funestement à Mactan, une petite île de l’archipel
philippin de Visayas ; et c’est sous le commandement par
intérim de Juan Sebastián Elcano que la petite vingtaine de
premiers hommes à avoir bouclé un tour de monde sont arrivés à
Séville.
Rarement cité dans les manuels scolaires, mais
figure mythique pour les amateurs de navigation maritime, Joshua
Slocum (1844-1909) a réussi la première circumnavigation en
solitaire, à bord de Spray, un voilier d’un peu plus de 11 mètres
(32 pieds).
Quand il entreprend ce voyage au long cours
(1895-1898), Slocum – né canadien puis devenu citoyen états-unien
– est déjà un marin expérimenté, qui avait navigué notamment
une vingtaine d’années dans le Pacifique, de Manille à San
Francisco, et de l’Alaska au cap Horn. Mais le déclin de la marine
à voile face au développement de la propulsion à la vapeur tend à
laisser les hommes comme Slocum à terre. Mais, même à terre, il
reste proche de ce milieu maritime ; ainsi, à la fin des années
1880, il travaille dans un chantier naval à Boston.
En 1892, son ami Eben Pierce lui offre Spray,
un bateau qui, selon le donateur, avait besoin de quelques
réparations. Doux euphémisme, puisqu’il faut à Slocum 13 mois
pour réparer Spray, un vieux cotre (sloop) de pêche aux
huîtres, abandonné dans un champ. Qu’importe ! Slocum le
restaure entièrement et, après avoir essayé – sans succès –
de se consacrer à la pêche avec Spray, il change
complètement de cap, en se fixant un défi, jamais encore relevé
jusque-là et un peu fou aux yeux de ses contemporains : boucler
le tour du monde à la voile, en solitaire.
Un défi d’autant plus fou que Spray
n’est pas vraiment le genre de bateau taillé pour cela :
affronter les océans, notamment dans leurs parages agités des
hautes latitudes de l’hémisphère Sud, ce n’est pas la même
histoire que de pêcher l’huître dans la baie de Chesapeake.
Slocum a raconté cette circumnavigation dans
Sailing Alone Around the World, d’abord paru en
feuilleton à New York et Londres dans le Century Illustrated
Monthly Magazine, sept. 1899–mars 1900 en 1899-1900, puis en
livre en 1900 (en version française : Seul autour du
monde sur un voilier de onze mètres,
première traduction en 1939,
pour autant que je sache, aux
éditions Chiron).
Tout lecteur amateur de mer doit-il se plonger
dans ce récit ? C’est l’avis de Stéphane Heuet, qui
l’inclut dans sa très sympathique – et très bien illustrée par
lui-même – Petite Bibliothèque maritime idéale (éditions
Arthaud, 2010, ISBN 978-2-0812-3793-3)
Le récit de Slocum, en 21 chapitres, est un témoignage sans pareil, de première main, sur ce premier tour du monde en solitaire. Les amateurs de ce genre de témoignages y trouveront donc leur compte. Un récit où ne manque pas cette distance qu’apporte l’autodérision (de bonne foi ou par fausse modestie ?, j’ai tendance à pencher, ici, pour la première). Un récit où ne manquent pas, non plus, les épisodes forts, comme celui où Slocum a du mal à sortir du détroit de Magellan, passage à l’intérieur de la Terre de Feu qui évite de devoir doubler le cap Horn ; le navigateur y connaît aussi bien les affres d’une navigation dans des parages dangereux que les dangers qu’y font peser des brigands. D’autres sont touchants, comme la visite qu’il rend, à Upolu dans l’archipel des Samoa occidentales, à Fanny Stevenson, veuve de Robert Louis Stevenson (décédé en décembre 1894) dont Slocum était friand des romans.
Que les amateurs de littérature de voyage
ignorants du jargon nautique ou maritime – ou hermétiques, ou
réfractaires – se rassurent, ils n’en seront pas noyés. Et ceux
qui ont besoin de mettre pied à terre ne seront pas prisonniers
d’une embarcation. En effet, Joshua Slocum, bien que naviguant en
solitaire, est loin d’accomplir un périple misanthrope. Tout au
contraire, ses escales sont l’occasion de rencontres qu’il
partage avec ses lecteurs.
Brosse-t-il particulièrement le portrait d’un
« monde qui change » ? Peut-être. Mais, en cela, il
n’est pas différent des autres voyageurs qui observent le monde à
hauteur d’homme. Comme je l’écrivais plus haut, il est lui-même
affecté par les changements de son monde, celui de la marine à
voile détrônée par la marine à vapeur ; alors, il voit
aussi, ailleurs, des évolutions.
Faut-il déceler en Slocum, pour autant, un
nostalgique ? Son récit est celui d’un homme qui observe, qui
s’observe, et, comme nous le sommes probablement tous (ou en très
grande majorité), un homme de son temps. Les gens avides de
changements voyaient leur contemporain Slocum comme un tenant du
« c’était mieux avant ». Aujourd’hui, l’attachement
à une certaine stabilité est loué par ceux qui trouvent que le
monde va trop vite, et peut-être dans le mur. Tant qu’à lire
Slocum, lisons-le sans vouloir trop le juger.
La solitude lui avait-elle tant pesé que son
cerveau vagabondait hors des chemins de la raison ? En lisant
qu’il pensait que le pilote de la Niña, un des navires de
Christophe Colomb, était à son bord pour tenir la barre, on
pourrait se laisser aller à le laisser penser ; mais, tant qu’à
inviter un ami imaginaire, mieux vaut qu’il ait du talent !
Dédié à « the one who said: ’The Spray
will come back’ (à celui qui a dit : « Le Spray
reviendra »), Récit maritime et terrestre, d’un voyage
solitaire de 46.000 milles nautiques (plus de 85.000 km) peuplé de
rencontres, ce Sailing Alone Around the World est une borne
dans l’histoire de la navigation et de la littérature de mer. Il
inspirera, entre autres, Bernard Moitessier qui baptisera son propre
bateau, un ketch, Joshua.
Alors, devez-vous lire ce livre ? Seule votre
envie pourra répondre à cette question. S’obliger à le lire, en
traînant les pieds, pour pouvoir ensuite clamer « J’ai lu
Slocum ! » serait, à mon sens, la pire des décisions.
Slocum, lui, ressentait trop l’appel du large
pour rester à terre. En novembre 1909, à 65 ans, il met cap au Sud,
vers l’Orénoque. Personne ne le reverra jamais.
* * * * *
Défi. Ce billet répond au défi suivant :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire