A force de publier des
billets autour de Sade et de son œuvre pour ce challenge Badinage et libertinage, les lecteurs vont finir par croire que le libertinage
dix-huitiémiste se résumait à tourmenter d’innocentes jeunes
filles qui n’avaient le choix qu’entre accepter d’être
ballottées de baron salace en moine dépravé, et prendre leur vie
en main en se prostituant pour gravir les échelons de la société.
Tout comme, à notre
époque, le terme de « libertin » a fini par perdre son
sens premier pour ne plus désigner que l’amateur de relations
échangistes ou de pratiques débridées, tarifées ou non (et pas
uniquement dans le cas des affaires impliquant un ancien très haut
cadre d’une institution financière internationale, quelques-unes
de ses connaissances et des demoiselles à la cuisse légère dont il
dit ignorer qu’elles étaient des accompagnatrices à solde).
Bon, je n’irai pas
jusqu’à prétendre que les libertins au XVIIIe siècle de ce
temps-là n’étaient que des philosophes bousculant, à leur
manière, l’ordre établi, qu’il soit moral ou religieux. Mais
j’ai tendance à y voir, toutefois, au-delà de la seule licence
des mœurs, un certain art de vivre, un art de la séduction, dans ce
mélange des plaisirs de l’esprit et du corps.
Peut-être parce que ma conception du libertinage
est joyeuse et raffinée, très directement inspirée par un Casanova
beau parleur et « sapé comme un milord » (comme on dira
bien des décennies plus tard), ou encore de l’image foutraque et
jouissive que donne Bertrand Tavernier du régent Philippe d’Orléans
(Philippe Noiret à l’écran, extraordinaire) et de l’abbé
Dubois (Jean Rochefort, encore mieux) dans Que la fête commence !
C’est cette nature, complexe et non simpliste, que nous invite à
découvrir La France au temps des libertins, un ouvrage
concocté à plusieurs mains par Jacqueline Queneau
(sociologue), Jean-Yves Patte (historien d’art et
musicologue), Alexandre Bailhache (photographe) et Caroline
Lebeau (styliste), aux éditions du Chêne (2001, ISBN :
2842772989).
La présentation de ces quatre
personnes, sur le rabat intérieur du livre, est la suivante (comme
le livre date de 2001, les références au « récemment »
doivent être prises au regard de cette date, bien sûr.
« Jacqueline Queneau,
sociologue, passionnée d’histoire, de musique et d’art
plastique, apporte depuis de nombreuses années sa collaboration à
différentes institutions culturelles. Elle participe à
l’organisation de manifestations liées au patrimoine historique.
En Bourgogne, dans le domaine du livre, cette universitaire contribue
activement à la mise en valeur du patrimoine écrit ancien, et à la
découverte de certains auteurs dans le cadre du « Livre en
scène ».
Jean-Yves Patte est historien d’art
et musicologue. Après avoir collaboré avec différents musées, il
se tourne vers la recherche en archives et les publications. Il
s’attache à montrer combien les habitudes du passé ont pu forger
notre art de vivre contemporain. Il a été, récemment, avec
Caroline Lebeau, consultant pour les arts de la table sur le tournage
du film Vatel.
Jacqueline Queneau et Jean-Yves
Patte ont publié, aux éditions du Chêne, Mémoire gourmande de
Madame de Sévigné, Les Promenades de Chateaubriand et
Les Promenades de Frédéric Chopin.
Alexandre Bailhache est photographe.
Passionne de cuisine, de décoration et de jardins, il travaille avec
les plus grands magazines en France et à l’étranger. Il a publié,
aux éditions du Chêne, Mémoire gourmande de Madame de Sévigné,
Rodin, le festin d’une vie et La Perse des
écrivains-voyageurs.
Caroline Lebeau, styliste anglaise,
travaille pour de nombreux magazines de décoration internationaux.
Elle a participé également aux livres Mémoire gourmande de
Madame de Sévigné et Rodin, le festin d’une vie. Elle
a travaillé récemment sur les décors de table du film Vatel. »
Le livre aborde aussi bien les
décors intérieurs et extérieurs des maisons et parcs où se
tissaient les relations, que les parfums et les cabinets de
curiosités, ou encore l’art des mouches et les dîners galants,
les plaisirs de la chasse et de l’opéra.
Les textes ne sont pas une évocation
superficielle de ces différents aspects, mais des articles qui
arrivent à être à la fois courts et riches.
La composition du livre, elle, mêle
très habilement de reproductions de tableaux (du Déjeuner
d’huîtres de Jean-François de Troy à la Jeune femme à sa
toilette de Nicolas Lanfresen dit Lawrence), de gravures, de
tapisseries, et de superbes photographies actuelles de parcs
(châteaux de Canon et de Groussay, entre autres), de statues, de
mobilier, de natures mortes, etc.
Plus anecdotiquement, le livre se
termine sur un cahier fermé regroupant des reproductions de gravures
(d’après Antoine Robel ou François
Boucher, par exemple), et des extraits de textes libertins
(Mirabeau, Boyer d’Argens, etc.).
Un ouvrage superbe.
* * * * *
Défis. Ce billet répond au défi suivant :
J'étais de passage et ai noté l'article à cette occasion, inutile de venir me transmettre le lien. ;)
RépondreSupprimerComme je m'y attendais, cet ouvrage me fait terriblement envie, il semble très intéressant pour avoir une autre vision du libertinage (aussi bien autre que celle à laquelle il est aujourd'hui réduit que celle que j'en ai par la littérature) Merci pour cette découverte !
J'en avais déjà parlé voilà... 6 ans (!), mais il me semblait opportun d'apporter cette touche raffinée dans le cadre du challenge.
RépondreSupprimer