Si vous décidez de lire Sade, de
Griffo (dessin) et Jean Dufaux (scénario) (Glénat, coll. Grand format, 1991, ISBN
2-7234-1296-2) et que vous présupposez que les créateurs de Giacomo
C. se sont penchés sur le Divin marquis comme ils se sont
penchés sur le célèbre Vénitien, vous risquez d’être surpris.
Peut-être même désagréablement surpris. Parce que ce Sade
est à des lieues des récits vénitiens auquel ce duo a habitué ses
lecteurs.
À quoi
fut-il donc s’attendre au moment de se plonger dans ce Sade ?
À rien. En tout cas, pas
à une biographie ordonnée du marquis. Ni à une exégèse de son
œuvre. Ni à un mélange des deux.
Il vaut mieux être ouvert à tout.
Il faut surtout accepter d’être conduit dans un
labyrinthe de l’esprit, dans des jeux où se mêlent les pensées
de Sade et celles de ses personnages. Sade-auteur, Sade personnage de
ses propres écrits, Sade-personnage qui écrit, à son tour, et fait
vivre ses rêves, ses fantasmes, ses hantises. Le lecteur est alors
un funambule qui marche sur le fil entre raison et folie, entre
réalité et rêve ou cauchemar. Sade-auteur et Sade-personnage
bousculent l’ordre établi, se heurtent à ce nouvel ordre
post-révolutionnaire, cette nouvelle « pensée unique ».
Le Régime a changé, mais on ne peut laisser le peuple penser par
lui-même. Alors, on ne peut laisser Sade écrire ce qu’il écrit,
on ne peut laisser ses manuscrits sortir de sa cellule de Charenton,
maison de folie plus que maison de fous. Les censeurs prennent même
le soin de détruire tout portrait de Sade.
Pourtant, dans cet asile, on tient spectacle !
Le directeur de Charenton a fait bâtir un théâtre, où des « VIP »
sains d’esprit viennent voir des pièces de théâtres écrites par
Sade et dont la troupe qui les joue mêle des acteurs professionnels
et des « résidents » de l’asile. Qui pourrait alors se
prévaloir de savoir dessiner clairement la frontière entre fous et
« normaux », entre folie et raison ? Très
probablement pas le lecteur de ce Sade, lui-même bousculé
par les différents plans du récit qui s’entremêlent.
Si Sade ne sortira pas
vivant de cet asile, et si aucun portrait authentifié de lui
n’arrivera jusqu’à nous, ses œuvres ont traversé les époques
et vaincu ses censeurs. Griffo et Dufaux, dans cette BD à tout le
moins déroutante, n’ont pas cherché à brosser un portrait
historique de Sade, ils l’écrivent eux-même dans leur préface.
Ils ont plutôt dessiné un labyrinthe dans lequel ils invitent le
lecteur à se perdre. On peut alors comprendre que certaines
critiques publiées sur le net fassent état de cette incompréhension
face à un récit touffu, à plusieurs plans imbriqués. Être perdu
dans une lecture peut se révéler particulièrement désagréable.
Pour ma part, j’ai pris plaisir à errer dans ce labyrinthe.
Peut-être est-il plus
prudent d’avoir lu quelques textes de Sade ou, au moins, quelques
textes sur Sade et son œuvre, avant de suivre Dufau et Griffo dans
ces méandres hauts en couleurs mais déroutants. À
vous de voir si vous voulez tenter l’aventure avec ou sans
préparation.
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Ce billet est une reprise, légèrement amendée, de ce que j'avais publié voici deux ans dans d'autres salons. Mais l'hôtesse de ce défi avait clairement indiqué, suite à une question posée en ce sens quant aux conditions du défi : "J'accepte tout à fait la réutilisation de certains sujets, tant que cela entre dans les catégories du challenge". D’où ce "recyclage", pour une catégorie qui n'est pas au cœur même du défi.
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Défis. Ce billet répond au défi suivant :
Cette BD m'intrigue... J'apprécie peu les labyrinthes en général, donc je ne m'y risquerai sans doute pas, mais le projet a le mérite de s'inscrire dans la continuité de Sade, en bousculant. Finalement, c'est la meilleure façon d'évoquer cet auteur, au-delà de tout aspect biographique ou exégétique.
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