jeudi 22 août 2013

Le lion volant

Je crois me souvenir que Les cavaliers (1967) a été ma découverte de Joseph Kessel. Ou Le lion (1958). En tout cas, je les ai lus dans un intervalle de temps très proche.
Mais ce n’est que très récemment que j’ai lu son Vent de sable (Les Éditions de France, 1929), un de ses premiers livres. Attiré par la couverture de l’édition poche (éditions Gallimard, collection Folio, 1997, ISBN 9782070403455), j’ai voulu découvrir ce témoignage, par la plume pas encore au sommet de son art d’un Kessel qui m’envoûtait dans ses romans.


Dans ces années d’après-guerre, des pionniers, « fous » aux yeux de certains et « admirables pionniers » aux yeux d’autres, entreprennent de fonder des lignes aériennes pour le transport du courrier. Des entrepreneurs comme Pierre-Georges Latécoère, des pilotes comme Jean-Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry, Henri Guillaumet, en écrivent les premières pages audacieuses et héroïques.

 
Latécoère fonde la Compagnie générale d’entreprises aéronautiques, qui relie Toulouse à Rabat au Maroc en 1919, puis Casablanca, et plus tard Casablanca à Dakar au Sénégal.


Toulouse-Casablanca-Dakar, voilà le parcours de ce Vent de sable. Un parcours qu’effectue Joseph Kessel avec comme pilote Émile « Mimile » Lécrivain (1897-1929), rien moins que le plus ancien pilote de cette ligne, qu’il a officiellement ouverte avec un premier vol commercial le 1er juin 1925.



Kessel a contribué à faire connaître du grand public cette aventure naissante du courrier postal aérien en racontant la captivité puis la libération du pilote Marcel Reine et de l’ingénieur Édouard Serre, capturés en juin 1928 par des Maures de la tribu « nsoumise » des R’Guibat, après que leur avion avait heurté une dune et réduits en esclavage pendant quatre mois.
Sur proposition de Reine et Serre, Kessel obtient de Didier Daurat, chef d’exploitation de cette ligne, l’autorisation de faire un vol Toulouse-Casablanca-Dakar comme passager, ce qui, à l’époque, ne se faisait pas. Un vol en compagnie d’Édouard Serre.




Vent de sable, ce n’est donc pas encore le Kessel grand romancier, mais déjà le Kessel voyageur et reporter.


Et ce récit de voyage en avion aurait été ennuyeux, s’il s’était concentré sur le vol, le bruit du moteur, les odeurs d’huile, les incertitudes de la navigation, la crainte des Maures hostiles qui rançonnent les aviateurs obligés de se poser en catastrophe. Ici, cependant, le lecteur est entraîné dans d’autres scènes, celles des escales et des rencontres humaines auxquelles elles sont propices.
Certes, il y a le désert, qui les menace et les envoûte en même temps. Certes, il y a les tempêtes de sable et les nuits noires.
Mais il y a surtout cette chaîne humaine, pilotes, mécaniciens, opérateurs de TSF (qui, même si elle est « sans fil », constitue un fil ténu liant les équipages volants aux stations au sol) et autre personnel au sol comme les interprètes, chaque maillon tendu vers une exigence première, quasiment obsédante : le transport du courrier et sa livraison à l’heure. A notre époque où nous acceptions que notre courrier n’arrive, à quelques kilomètres de chez nous, que deux ou trois jours après l’avoir posté (nette régression par rapport au « J+1 » presque systématique assuré il y a quelques années), il n’est pas facile de concevoir que ces pilotes étaient tellement investis dans cette mission qu’ils l’accomplissaient au risque de leur sécurité, au péril de leur vie parfois.




Il y a aussi les ambiances de ces escales, de ces oasis non pour chameliers mais pour aviateurs, les locaux techniques de la compagnie, les cabarets de Casablanca (comme celui dans lequel Rick Blaine incarné par Humphrey Bogart traînera son chapeau et son regard brillant, quelques années plus tard, dans le film de Michael Curtiz), les relations parfois difficiles avec les autorités et garnisons espagnoles dans ce Sahara occidental âprement disputé.


Le récit de Joseph Kessel prend une dimension particulière quand on sait que lors du vol qui a suivi ce voyage de Kessel, Émile Lécrivain et son radiotélégraphiste Pierre Ducaud disparaissent en vol, après avoir survolé Mazagan au Maroc, lors d’une liaison Agadir-Casablanca (31 janvier 1929). L’épave de leur Latécoère 26 est retrouvée le 2 février, et la mer rejette un corps (celui de Lécrivain ?) le 23 février, sur le rivage marocain entre Mazagan et Casablanca [source].

Émile Lécrivain

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Quelques pistes pour compléter la lecture de ce Vent de sable.

Une interview de 11 minutes (archives de l’INA, 1967) de Kessel par Pierre Desgraupes sur ce roman.


 

Bien sûr, le Courrier Sud (1929) d’Antoine de Saint-Exupéry, roman contemporain de celui de Kessel, d’inspiration autobiographique, dont le personnage central est un de ces pilotes de la ligne Toulouse-Casablanca-Dakar.



Et, pour jouer en famille ou entre amis, Aéropostale, un jeu d’Olivier Chanry et Michel Pinon, chez Asyncron.

 



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