samedi 24 août 2013

Le cardinal aux dents longues

C’est à Venise que j’ai croisé, pour la première fois, François-Joachim de Pierre, déjà de Bernis et abbé, mais pas encore cardinal. Dans l’Histoire de ma vie de Casanova et dans les rapports des informateurs auprès du Conseil des Dix (Giovanni Comisso en a rassemblés quelques-uns dans son ouvrage Les agents secrets de Venise – 1705-1797 ; réédition aux éditions Gallimard, collection Le promeneur, 1990, EAN 9782876530843).


En ces années 1750 commençantes, Bernis était ambassadeur de France à Venise, et Casanova, qui fut abbé lui aussi, y revenait, après un séjour autrichien. Bernis et Casanova, amateurs de plaisirs féminins et ne répugnant pas à les partager, se retrouvent à courtiser et aimer ensemble deux religieuses, « M. M. » (Maria Magdalena Pasini) et « C. C. » (Cattarina Capretta).
Cet épisode, raconté d’une plume alerte par Casanova dans ses mémoires, est rapporté dans Bernis, le cardinal des plaisirs, de Jean-Marie Rouart (Gallimard, 1998, ISBN 2-07-075264-X), d’une manière moins enlevée.



Le livre de Rouart n’est pas inintéressant pour qui a envie de découvrir Bernis, mais tant son titre que la couverture de cette édition (comme celle de l’édition dans la collection Folio) sont mensongers. Bien plus juste aurait été le titre Bernis, le cardinal de l’ambition, mais c’est Jean-Paul Desprat qui l’a retenu pour Le Cardinal de Bernis, la belle ambition (éditions Perrin, 2000, EAN 978-2262013202).

Car, cet épisode partagé avec Casanova est à peu près le seul qui, dans l’ouvrage de Rouart, fait directement référence à des plaisirs, et plus particulièrement des plaisirs libertins, en dehors de quelques plaisirs de la table et des plaisirs du paraître. Pour le reste, c’est bien le portrait d’un homme ambitieux, bien décidé à tracer son chemin vers les hautes sphères, qu’il s’agisse d’obtenir la distinction cardinalice, un poste d’ambassadeur, une élection à l’Académie française, un secrétariat d’État.


Beau portrait d’ambitieux, mais loin de mériter le titre de « cardinal des plaisirs » que lui attribue Jean-Marie Rouart (« de l’Académie française » lui aussi).

Je n’ose que du bout des doigts le présenter à ce défi « Badinage et libertinage ». Au moins pour prévenir ceux qui seraient tentés de le lire pour découvrir un cardinal libertin qu’il vaut mieux qu’ils regardent du côté de l’abbé Guillaume Dubois (devenu cardinal, lui aussi), compère jouisseur du Régent Philippe duc d’Orléans.


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vendredi 23 août 2013

De la frivolité à la folie

Faute d’avoir en avoir beaucoup entendu parler avant d’en trouver une édition (Tchou Editeur, 1966, non illustrée) à petit prix chez un bouquiniste, j’ignorais que la trilogie des Amours du chevalier de FaublasUne année de la vie du chevalier de Faublas (1787 ; 5 parties), Six semaines de la vie du chevalier de Faublas (1788 ; 8 parties) et Fin des amours du chevalier de Faublas (1790 ; 6 parties) – se rattachait au genre littéraire dit libertin.


Plusieurs centaines de pages plus loin (une édition Gallimard en compte plus de mille), je ressors de cette aventure née sous la plume de Jean-Baptiste Louvet, dit Louvet de Couvray, sous le coup d’une sympathique découverte : une sorte de croisement survolté entre deux genres littéraires qui naîtront pourtant plus tard, le roman-feuilleton et le théâtre de vaudeville, croisement lui-même percuté par des tribulations que n’auraient reniées ni Casanova ni le chevalier d’Éon. Le tout écrit par un auteur qui est aussi un homme politique, plutôt « girondin » aux temps révolutionnaires et même accusateur de Robespierre, ce qui n’est pas rien en 1792...), et publié de part et d’autre de la fin de « l’Ancien régime ».



Il est d’ailleurs un peu étonnant que ce roman en trois parties ait eu du succès, pour autant que j’ai pu le lire dans divers articles, aussi bien avant qu’après le déclenchement de la Révolution, et tant dans un camp que dans l’autre.

Ce chevalier de Faublas est un personnage qui attire la sympathie. On sourit de la voir si naïf, écartelé entre son amour pour une jeune fille bien sous tous rapports et le tourbillon de tentations féminines qui le bousculent et auxquelles il ne sait que céder. Il est également sympathique parce que, contrairement à d’autres « héros » de romans libertins, il n’est pas celui qui séduit les femmes parce qu’il les méprise, ou parce qu’il veut leur imposer son pouvoir, ou parce qu’elles l’aideront à monter les marches casse-gueule d’un escalier social bancal. D’ailleurs, il n’est pas vraiment un séducteur ; plutôt un amant opportuniste, qui profite de ce qui se présente sans penser à demain, ni même à tout à l’heure. Un libertin picaresque, en quelque sorte.


Le ton de ce roman est léger, sans pornographie prononcée, et avec des scènes qui ne manquent pas de cocasse et me font penser au théâtre de boulevard (ainsi, lorsque le mari lutine une servante sur le lit de la chambre, alors que son épouse s’est cachée dans le placard de ladite chambre avec son amant !). Passages secrets, lits à ressort, duels, travestissements du chevalier en femme, amant caché derrière le rideau, liaisons nobles et ancillaires, enlèvements et libérations, rendez-vous galants dans les jardins de couvent, relations un tantinet inextricables entre les protagonistes (je reconnais avoir parfois perdu le fil du « qui est qui ? »), le plaisir du rythme l’emporte largement sur le réalisme. C’est comme du Casanova, mais en plus « gros » !


Si ce ton et ce rythme ne m’ont pas particulièrement surpris (même si je les associais plutôt, a priori, à Dumas ou Zevaco, quelques décennies plus tard), ce qui n’a pas manqué de me surprendre est la présentation des dialogues sous deux formes : parfois, ils sont portés au fil du texte, et parfois ils sont présentés comme dans une pièce de théâtre.

Le comte est ici, le baron doit y venir ; s’ils se rencontrent, ils peuvent avoir une explication dont vous devez redouter les suites. – Vous avez raison ; mais quel parti prendre ? – Faire dire à M. de Faublas de ne pas venir. – Ah!Je suis bien aise de le voir et de lui parler. – Cependant, je prendrai la liberté de vous représenter… 


LE COMTE, en entrant.
Où est donc le vicomte ?

LA COMTESSE.
Chut !

LE COMTE.
Plaît-il ?

LA COMTESSE.
Taisez-vous !

LA BARONNE, regardant Mme de Lignolle d’un air étonné.
Est-ce que je vous dérange, comtesse ?

LA COMTESSE.
Point du tout.

Comparaison n’est pas raison, mais cette présentation si spécifique de quelques dialogues me fait penser aux longues scènes sans paroles, mais soutenues musicalement, dans les westerns de Sergio Leone, avant que les colts ne crachent leur déluge de plomb, ou les ralentis dans certains films de John Woo. Ces dialogues théâtralisés suspendent, ralentissement, momentanément le fil du récit, et ils n’en prennent que plus d’importance.



Incapable de se séparer de ses amantes – contrairement aux libertins cyniques, qui se débarrasse de l’une pour profiter de l’autre –, Faublas se prend lui-même dans une toile où il s’épuise à passer de l’une à l’autre, sans provoquer la salvatrice rupture. Et, malgré la légèreté générale du ton des aventures, la gravité n’est pas loin : l’insouciance se heurte aux conventions sociales, la séduction à l’inégalité des sexes, l’excès des sens à la perte de l’esprit.

La troisième partie s’achève sur une vingtaine de pages d’échanges de correspondance entre quelques personnages de premier plan, clin d’œil à ce genre bien en vogue qu’était le roman épistolaire, et au plus célèbre des romans épistolaires libertins, Les liaisons dangereuses. Mais ces lettres échangées, comme un commentaire en voix off pour l’épilogue d’un film, induisent une nouvelle distance : alors que le reste du roman est un récit par le chevalier à la première personne, cette correspondance donne la parole aux principaux protagonistes : on y apprend que Faublas a été interné « dans une maison de Picpus, où l’on traite les insensés », puis les épisodes qui suivront, jusqu’à son exil en Pologne.

Mais non, Sophie me reste. Loin de me plaindre, enviez mon sort, et dites seulement que pour les hommes ardents et sensibles, abandonnés dans leur première jeunesse aux orages des passions, il n’y a plus jamais de parfait bonheur sur la terre.

FIN




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On (ne) dirait (plus) le Sud

Un auteur victime de dictature (il a connu les geôles de Pinochet puis l’exil), accompagné d’un photographe qui sera, lui, victime de crétinerie (ces crétins qui ont jeté à la poubelle, en octobre 2012, toutes ses archives photographiques entreposées dans des locaux du journal Le Monde, soit près de 50.000 images représentant 27 ans de travail), voilà le duo dans les pas duquel j’ai mis mes pas, direction le Sud.
Le parcours de Luis Sepúlveda ne s’englue pas dans la monotonie : militant communiste, peine de prison commuée en exil supposé vers la Suède mais transformé par lui en voyage clandestin dans toute l’Amérique du Sud, combattant dans une brigade internationale sandiniste au Nicaragua, fondateur d’une troupe de théâtre, militant des droits de l’homme, défenseur des peuples premiers, reporter, auteur, figure chilienne des lettres installée dans les Asturies espagnoles.
Daniel Mordzinski, photographe natif de Buenos Aires et lié de cœur à Paris, portraitiste d’écrivains, travaille, selon ses propres mots, « depuis plus de trente ans à un ambitieux « atlas humain » de la littérature ibéro-américaine ».



Ce duo avait déjà collaboré, l’un aux textes, l’autre aux images, à l’occasion de divers reportages. Mais je méconnaissais l’œuvre de l’auteur, et étais peu familier de celle du photographe. Le lancement récent (avril 2013) de la collection « Aventure », aux éditions Points, sous la direction littéraire de Patrice Franceschi, a fait le larron : nous voilà donc partis tous trois vers le Sud : eux deux, et moi en passager semi-clandestin, lecteur de Dernières nouvelles du Sud (EAN : 9782757833735), une des premières publications de cette nouvelle collection.


Ligne symbolique de départ géographique du périple, le parallèle de 42° de latitude sud. Pour un départ terrestre, il ne faut pas trop se tromper ; si vous prenez un globe ou un planisphère et que vous suivez du regard ou du doigt cette parallèle, vous ne croiserez pas beaucoup de terre : pointe sud de l’Australie, mi-hauteur de la Nouvelle-Zélande, et un bout de Chili et d’Argentine. A peu de choses près, c’est tout.

Ligne de départ temporelle : 1996. Une poignée d’années plus tôt, le ministre argentin de l’économie, Domingo Cavallo a introduit le système de convertibilité du peso, à un taux de change garanti d’un peso pour un dollar. L’inflation est sensiblement freinée (elle dépassait 5000 % en 1989 !). Dans les années qui suivent, le gouvernement se lance dans un programme ambitieux de néolibéralisme et dérégulation, allégeant les barrières douanières et privatisant à tout crin dans les secteurs du pétrole, de l’énergie, des télécommunications, des transports, etc. Les marchés financiers argentins sont affectés par la crise du peso mexicain de 1995, l’économie chancelle, l’Argentine emprunte massivement. Le pays se désindustrialise, le chômage, la précarité de l’emploi et la pauvreté augmente. Les coups de boutoir des crises financières asiatique (1997) et brésilienne (1998) ne l’ont pas encore mise KO, mais l’Argentine de 1996 est déjà un grand malade.

Le voyage a failli ne pas partir. Le premier chapitre du livre est consternant : il se révèle quasiment impossible de trouver, à Buenos Aires, comment prendre le train pour se rendre en Patagonie. Dans un cauchemar kafakïen, Sepúlveda est renvoyé de bureau minable en immeuble presque désaffecté, par des gens qui sont, pour certains, déboussolés et, pour d’autres, totalement détachés, chacun réagissant à sa manière au torpillage des chemins de fer publics.


Le voyage de Sepúlveda et Mordzinski est une rencontre avec la Patagonie de 1996, Patagonie dont le 42° Sud est à peu près la limite septentrionale et le cap Horn la pointe Sud.
Une rencontre physique, avec un territoire vaste (2 fois la superficie de la France), souvent rude (le climat y est océanique froid en majorité, et semi-aride ou aride dans certains secteurs). Un pays à parcourir en train (et ce n’est pas une mince affaire, depuis que leur privatisation a mis les chemins de fer argentins à genoux) ou en voiture tout-terrain, à survoler dans un avion d’un autre temps, à fouler à pied pour mieux le ressentir.
Une rencontre humaine, surtout. Une rencontre faite de rencontres, avec des gens qui deviennent les personnages d’une pièce de théâtre dont on se demande jusqu’à quand vont tenir les décors et ce qui se passera si le rideau tombe.
Comme dans d’autres « récits de voyage » sur lesquels j’ai publié des billets (la circumnavigation de Joshua Slocum, le périple aérien de Joseph Kessel de Toulouse à Dakar), les rencontres avec ces gens prennent bien plus d’importance que les aspects « techniques » du voyage, les difficultés de l’orientation, le franchissement des terrains difficiles, etc.
Alors, ces Dernières nouvelles du Sud, plutôt « mosaïque de rencontres » que « récit de voyage » ? Oui, indubitablement, si l’on s’en tient aux seuls mots de Sepúlveda. Mais les photos de Mordzinski (prises avec un Leica M6, un Canon F1, et un Polaroid pour les essais – un ensemble que ce photographe appelle son « armement conventionnel ») apportent ce regard supplémentaire, tant sur les lieux que sur les gens. Certaines images – les portraits en particulier – sont des échos directs aux mots de l’auteur, mais d’autres sont un apport plus « personnel » du photographe. Le noir et blanc, dont on sait qu’il se prête bien au portrait intense, surtout pour des visages marqués par la vie, traduit bien, aussi, la force des paysages patagoniens. Un petit regret : le format de poche ne rend pas assez bien hommage à ces images, qui s’y retrouvent à l’étroit.


Ces portraits, en mots et en images, ces anecdotes, sont touchants et ambivalents. Ils nous parlent de gens d’aujourd’hui, de temps passés (pas toujours meilleurs), et de temps à venir (dont ils se demandent à quel point ils seront pires). Ce qui frappe, c’est la simplicité de ces gens rencontrés, qu’ils soient en Patagonie par choix d’y rester ou par impossibilité d’aller ailleurs. Ce qui frappe, c’est que pour certains, il semble que le monde « extérieur » ne changera rien à leur vie, alors que pour d’autres, l’intrusion de flots d’argent est une lame de fond qui peut emporter leur univers un peu intemporel. Mais chacun a ses satisfactions : une vieille dame dont les mains ont le pouvoir de guérir les gens et de faire pousser les fleurs sur les tiges que l’on croyait mortes ; des cheminots qui se rebellent contre un groupe d’États-uniens pleins de morgue qui ont « chartérisé » le dernier train de Patagonie pour leur usage exclusif et lancent leur locomotive à vapeur sur les rails d’une temporaire – mais grisante – liberté ; un luthier qui cherche, au milieu de nulle part (du moins le lecteur le croit-il), du bois pour fabriquer un violon.


Bercées de mélancolie comme sur un air de tango, parfois teintées de nostalgie d’un temps qui ne reviendra pas, assurément marquées d’inquiétude, quelques fois tragi-comiques ou portées par la colère, ces Dernières nouvelles du Sud, douces-amères, sans prétendre donner des « leçons de vie », m’ont tout de même amené à réfléchir sur un certain sens de la vie, la mienne et – au risque de passer pour présomptueux ou béatement idéaliste – sur celle du monde.

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jeudi 22 août 2013

Le lion volant

Je crois me souvenir que Les cavaliers (1967) a été ma découverte de Joseph Kessel. Ou Le lion (1958). En tout cas, je les ai lus dans un intervalle de temps très proche.
Mais ce n’est que très récemment que j’ai lu son Vent de sable (Les Éditions de France, 1929), un de ses premiers livres. Attiré par la couverture de l’édition poche (éditions Gallimard, collection Folio, 1997, ISBN 9782070403455), j’ai voulu découvrir ce témoignage, par la plume pas encore au sommet de son art d’un Kessel qui m’envoûtait dans ses romans.


Dans ces années d’après-guerre, des pionniers, « fous » aux yeux de certains et « admirables pionniers » aux yeux d’autres, entreprennent de fonder des lignes aériennes pour le transport du courrier. Des entrepreneurs comme Pierre-Georges Latécoère, des pilotes comme Jean-Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry, Henri Guillaumet, en écrivent les premières pages audacieuses et héroïques.

 
Latécoère fonde la Compagnie générale d’entreprises aéronautiques, qui relie Toulouse à Rabat au Maroc en 1919, puis Casablanca, et plus tard Casablanca à Dakar au Sénégal.


Toulouse-Casablanca-Dakar, voilà le parcours de ce Vent de sable. Un parcours qu’effectue Joseph Kessel avec comme pilote Émile « Mimile » Lécrivain (1897-1929), rien moins que le plus ancien pilote de cette ligne, qu’il a officiellement ouverte avec un premier vol commercial le 1er juin 1925.



Kessel a contribué à faire connaître du grand public cette aventure naissante du courrier postal aérien en racontant la captivité puis la libération du pilote Marcel Reine et de l’ingénieur Édouard Serre, capturés en juin 1928 par des Maures de la tribu « nsoumise » des R’Guibat, après que leur avion avait heurté une dune et réduits en esclavage pendant quatre mois.
Sur proposition de Reine et Serre, Kessel obtient de Didier Daurat, chef d’exploitation de cette ligne, l’autorisation de faire un vol Toulouse-Casablanca-Dakar comme passager, ce qui, à l’époque, ne se faisait pas. Un vol en compagnie d’Édouard Serre.




Vent de sable, ce n’est donc pas encore le Kessel grand romancier, mais déjà le Kessel voyageur et reporter.


Et ce récit de voyage en avion aurait été ennuyeux, s’il s’était concentré sur le vol, le bruit du moteur, les odeurs d’huile, les incertitudes de la navigation, la crainte des Maures hostiles qui rançonnent les aviateurs obligés de se poser en catastrophe. Ici, cependant, le lecteur est entraîné dans d’autres scènes, celles des escales et des rencontres humaines auxquelles elles sont propices.
Certes, il y a le désert, qui les menace et les envoûte en même temps. Certes, il y a les tempêtes de sable et les nuits noires.
Mais il y a surtout cette chaîne humaine, pilotes, mécaniciens, opérateurs de TSF (qui, même si elle est « sans fil », constitue un fil ténu liant les équipages volants aux stations au sol) et autre personnel au sol comme les interprètes, chaque maillon tendu vers une exigence première, quasiment obsédante : le transport du courrier et sa livraison à l’heure. A notre époque où nous acceptions que notre courrier n’arrive, à quelques kilomètres de chez nous, que deux ou trois jours après l’avoir posté (nette régression par rapport au « J+1 » presque systématique assuré il y a quelques années), il n’est pas facile de concevoir que ces pilotes étaient tellement investis dans cette mission qu’ils l’accomplissaient au risque de leur sécurité, au péril de leur vie parfois.




Il y a aussi les ambiances de ces escales, de ces oasis non pour chameliers mais pour aviateurs, les locaux techniques de la compagnie, les cabarets de Casablanca (comme celui dans lequel Rick Blaine incarné par Humphrey Bogart traînera son chapeau et son regard brillant, quelques années plus tard, dans le film de Michael Curtiz), les relations parfois difficiles avec les autorités et garnisons espagnoles dans ce Sahara occidental âprement disputé.


Le récit de Joseph Kessel prend une dimension particulière quand on sait que lors du vol qui a suivi ce voyage de Kessel, Émile Lécrivain et son radiotélégraphiste Pierre Ducaud disparaissent en vol, après avoir survolé Mazagan au Maroc, lors d’une liaison Agadir-Casablanca (31 janvier 1929). L’épave de leur Latécoère 26 est retrouvée le 2 février, et la mer rejette un corps (celui de Lécrivain ?) le 23 février, sur le rivage marocain entre Mazagan et Casablanca [source].

Émile Lécrivain

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Quelques pistes pour compléter la lecture de ce Vent de sable.

Une interview de 11 minutes (archives de l’INA, 1967) de Kessel par Pierre Desgraupes sur ce roman.


 

Bien sûr, le Courrier Sud (1929) d’Antoine de Saint-Exupéry, roman contemporain de celui de Kessel, d’inspiration autobiographique, dont le personnage central est un de ces pilotes de la ligne Toulouse-Casablanca-Dakar.



Et, pour jouer en famille ou entre amis, Aéropostale, un jeu d’Olivier Chanry et Michel Pinon, chez Asyncron.

 



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mercredi 21 août 2013

Tout autour de la Terre, seul... ou pas

« Alors on est revenu à pied
À pied tout autour de la terre
À pied tout autour de la mer
Tout autour du soleil
De la lune et des étoiles
À pied, à cheval, en voiture et en bateau à voiles. »

Jacques Prévert, En sortant de l’école

À défaut de l’avoir lu dans un recueil des œuvres de Prévert, vous l’avez peut-être entendu chanté par Yves Montand. Aujourd’hui, c’est à un tour autour de la terre et de la mer, en bateau à voiles, que je vous invite.
Bien connu des livres scolaires d’histoire, Fernão de Magalhães (que nous, francophones, appelons Fernand de Magellan) est souvent cité comme le premier à avoir bouclé une circumnavigation. A tort, puisque son périple personnel s’est achevé funestement à Mactan, une petite île de l’archipel philippin de Visayas ; et c’est sous le commandement par intérim de Juan Sebastián Elcano que la petite vingtaine de premiers hommes à avoir bouclé un tour de monde sont arrivés à Séville.
Rarement cité dans les manuels scolaires, mais figure mythique pour les amateurs de navigation maritime, Joshua Slocum (1844-1909) a réussi la première circumnavigation en solitaire, à bord de Spray, un voilier d’un peu plus de 11 mètres (32 pieds).
 
Quand il entreprend ce voyage au long cours (1895-1898), Slocum – né canadien puis devenu citoyen états-unien – est déjà un marin expérimenté, qui avait navigué notamment une vingtaine d’années dans le Pacifique, de Manille à San Francisco, et de l’Alaska au cap Horn. Mais le déclin de la marine à voile face au développement de la propulsion à la vapeur tend à laisser les hommes comme Slocum à terre. Mais, même à terre, il reste proche de ce milieu maritime ; ainsi, à la fin des années 1880, il travaille dans un chantier naval à Boston.


En 1892, son ami Eben Pierce lui offre Spray, un bateau qui, selon le donateur, avait besoin de quelques réparations. Doux euphémisme, puisqu’il faut à Slocum 13 mois pour réparer Spray, un vieux cotre (sloop) de pêche aux huîtres, abandonné dans un champ. Qu’importe ! Slocum le restaure entièrement et, après avoir essayé – sans succès – de se consacrer à la pêche avec Spray, il change complètement de cap, en se fixant un défi, jamais encore relevé jusque-là et un peu fou aux yeux de ses contemporains : boucler le tour du monde à la voile, en solitaire.



Un défi d’autant plus fou que Spray n’est pas vraiment le genre de bateau taillé pour cela : affronter les océans, notamment dans leurs parages agités des hautes latitudes de l’hémisphère Sud, ce n’est pas la même histoire que de pêcher l’huître dans la baie de Chesapeake.





Slocum a raconté cette circumnavigation dans Sailing Alone Around the World, d’abord paru en feuilleton à New York et Londres dans le Century Illustrated Monthly Magazine, sept. 1899–mars 1900 en 1899-1900, puis en livre en 1900 (en version française : Seul autour du monde sur un voilier de onze mètres, première traduction en 1939, pour autant que je sache, aux éditions Chiron).



Tout lecteur amateur de mer doit-il se plonger dans ce récit ? C’est l’avis de Stéphane Heuet, qui l’inclut dans sa très sympathique – et très bien illustrée par lui-même – Petite Bibliothèque maritime idéale (éditions Arthaud, 2010, ISBN 978-2-0812-3793-3)


Le récit de Slocum, en 21 chapitres, est un témoignage sans pareil, de première main, sur ce premier tour du monde en solitaire. Les amateurs de ce genre de témoignages y trouveront donc leur compte. Un récit où ne manque pas cette distance qu’apporte l’autodérision (de bonne foi ou par fausse modestie ?, j’ai tendance à pencher, ici, pour la première). Un récit où ne manquent pas, non plus, les épisodes forts, comme celui où Slocum a du mal à sortir du détroit de Magellan, passage à l’intérieur de la Terre de Feu qui évite de devoir doubler le cap Horn ; le navigateur y connaît aussi bien les affres d’une navigation dans des parages dangereux que les dangers qu’y font peser des brigands. D’autres sont touchants, comme la visite qu’il rend, à Upolu dans l’archipel des Samoa occidentales, à Fanny Stevenson, veuve de Robert Louis Stevenson (décédé en décembre 1894) dont Slocum était friand des romans.



Que les amateurs de littérature de voyage ignorants du jargon nautique ou maritime – ou hermétiques, ou réfractaires – se rassurent, ils n’en seront pas noyés. Et ceux qui ont besoin de mettre pied à terre ne seront pas prisonniers d’une embarcation. En effet, Joshua Slocum, bien que naviguant en solitaire, est loin d’accomplir un périple misanthrope. Tout au contraire, ses escales sont l’occasion de rencontres qu’il partage avec ses lecteurs.


Brosse-t-il particulièrement le portrait d’un « monde qui change » ? Peut-être. Mais, en cela, il n’est pas différent des autres voyageurs qui observent le monde à hauteur d’homme. Comme je l’écrivais plus haut, il est lui-même affecté par les changements de son monde, celui de la marine à voile détrônée par la marine à vapeur ; alors, il voit aussi, ailleurs, des évolutions.
Faut-il déceler en Slocum, pour autant, un nostalgique ? Son récit est celui d’un homme qui observe, qui s’observe, et, comme nous le sommes probablement tous (ou en très grande majorité), un homme de son temps. Les gens avides de changements voyaient leur contemporain Slocum comme un tenant du « c’était mieux avant ». Aujourd’hui, l’attachement à une certaine stabilité est loué par ceux qui trouvent que le monde va trop vite, et peut-être dans le mur. Tant qu’à lire Slocum, lisons-le sans vouloir trop le juger.
La solitude lui avait-elle tant pesé que son cerveau vagabondait hors des chemins de la raison ? En lisant qu’il pensait que le pilote de la Niña, un des navires de Christophe Colomb, était à son bord pour tenir la barre, on pourrait se laisser aller à le laisser penser ; mais, tant qu’à inviter un ami imaginaire, mieux vaut qu’il ait du talent !

Dédié à « the one who said: ’The Spray will come back’ (à celui qui a dit : « Le Spray reviendra »), Récit maritime et terrestre, d’un voyage solitaire de 46.000 milles nautiques (plus de 85.000 km) peuplé de rencontres, ce Sailing Alone Around the World est une borne dans l’histoire de la navigation et de la littérature de mer. Il inspirera, entre autres, Bernard Moitessier qui baptisera son propre bateau, un ketch, Joshua.


Alors, devez-vous lire ce livre ? Seule votre envie pourra répondre à cette question. S’obliger à le lire, en traînant les pieds, pour pouvoir ensuite clamer « J’ai lu Slocum ! » serait, à mon sens, la pire des décisions.

Slocum, lui, ressentait trop l’appel du large pour rester à terre. En novembre 1909, à 65 ans, il met cap au Sud, vers l’Orénoque. Personne ne le reverra jamais.



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samedi 10 août 2013

Retour à Tombouctou

L’actualité brûlante au Mali a ramené, voici environ un an, la ville de Tombouctou sur le devant de la scène. Les reportages sur la destruction du patrimoine religieux (musulman) par des intégristes (musulmans) ont soulevé l’indignation d’une opinion publique qui, jusque-là, aurait probablement bien eu du mal à dire quelques mots de Tombouctou. Je ne crois pas que les pays « occidentaux » aient beaucoup de leçons à donner quant à la destruction de patrimoine historique, et religieux en particulier, que ce soit dans nos pays (nous ne sommes pas vraiment étrangers aux « guerres de religion », ni aux « guerres civiles » ou aux « reconquêtes qui détruisent du patrimoine de « l’autre ») ou dans les pays que nous avons « envahis », « colonisés », etc. - chacun trouvera le mot qui lui semble le plus adapté.
Toujours est-il que la destruction des Bouddhas de Bamyan, en Afghanistan, en 2011, ou celles de mausolées à Tombouctou en 2012 ont entraîné des protestations dans une grande partie du monde.
Tombouctou, inscrite depuis 1988 au Patrimoine mondial par l’UNESCO, s’est même retrouvée portée, en 2012, dans la triste liste du patrimoine mondial en danger.

Je n’irai pas claironner, pour ma part, être un grand connaisseur de cette ville, ni même y avoir jamais mis les pieds en touriste. Mais, à tout le moins, elle m’était connue par des reportages, des livres, dont des récits de voyage d’hier et d’aujourd’hui. Et le Voyage à Tombouctou de René Caillié y a une part importante. Ma jeunesse et mon adolescence avaient été nourries de lectures d’aventures, réelles ou romanesques, de Jack London à Henri de Monfreid en passant par René Frison-Roche.



C’est il y a environ trente ans que j’ai croisé la piste de René Caillié, dans une édition de poche de son récit, en deux tomes, trouvée chez un bouquiniste. Les deux livres semblaient avoir vécu une vie trépidante avant d’atterrir entre mes mains, et j’étais donc un nouveau maillon dans la chaîne de leurs lecteurs. Ma culture de l’Afrique se limitait alors à quelques bouts de ce continent découvert par mes lectures, par la télévision ou les projections ciné des reportages de « Connaissance du monde ».
Je ne vais pas répéter ici ce que j’ai déjà écrit, il y a quelque temps déjà, dans d’autres colonnes de lablogosphère. Je me contenterai de dire que j’ai finalement relu ce Voyage à Tombouctou. Et je l’ai redécouvert en y retrouvant les éléments qui m’avaient marqués lors de ma première lecture : l’énergie qui brûle en René Caillié pour le conduire jusqu’à cette ville méconnue, et même interdite, ses espoirs et ses désespoirs, les ruses auxquelles il doit recourir pour s’en approcher et finalement y entrer en avril 1828.


Et ce n’était pas un mince exploit. À titre d’indice, rappelons les dix mille francs de récompense offerts à Paris, en 1824, par la Société de géographie au premier non-musulman qui entrerait dans Tombouctou… et à en revenir vivant pour en faire le récit ! Un marin états-unien, Robert Adams, avait prétendu, en 1812, être entré dans cette ville interdite ; mais son récit présentait trop d’incohérence dans ses descriptions de Tombouctou pour qu’on s’accorde à la croire. En août 1826, l’Écossais Alexander Gordon Laing, officier du Royal African Colonial Corps, entre dans Tombouctou après avoir traversé le Sahara du nord au sud, malgré embûches et combats (il perd sa main droite suite à une embuscade de Touaregs) ; mais il est tué peu après, probablement le jour même où il quitte la ville. Son « exploit » n’ayant pas été totalement effacé par celui de René Caillié, une plaque fut apposée, en 1903, par les autorités françaises sur la maison que Laing avait occupée à Tombouctou pendant près de quarante jours.



René Caillié a voyagé vers Tombouctou en partant de la côte occidentale africaine. À ce sujet, il faut souligner qu’il aurait pu, par malchance, ne jamais arriver à Saint-Louis, et donc ne jamais entrer à Tombouctou. En effet, Caillié part une première fois de France fin avril 1816, embarqué à Bordeaux sur un navire d’une flottille de cinq bateaux, dont la frégate Méduse que son échouage sur le banc d’Arguin, un peu plus de deux mois plus tard, au large des côtes africaines, rendra dramatiquement célèbre. Ne réussissant pas à se faire engager dans l’expédition britannique menée par le major Gray partant à la recherche de Mungo Park, un Écossais disparu avec ses accompagnateurs pendant une descente d’exploration du Niger, Caillié, très déçu, part pour les Antilles, puis rentre en France.
En 1818, il est de retour au Sénégal, cherchant cette fois à entrer dans l’expédition qui vise à secourir… le major Gray, prisonnier du roi du Boundou. Expédition qui vire à l’échec. Nouveau retour en France.
Jamais deux sans trois. Caillié revient encore au Sénégal en 1824, bien décidé à pénétrer au cœur de cette Afrique mystérieuse et dangereuse que l’on a fini par surnommer « la tombe de l’homme blanc ».
Et pour cela, il se donne bien des moyens pour réussir. Comme il l’explique avec ses propres mots, il s’immerge d’abord dans la culture locale, vivant plusieurs mois avec des Maures de Brakna (dans l’actuelle Mauritanie), s’imprégnant des coutumes et apprenant des bases d’arabe et du Coran, puis travaillant comme « surintendant » dans une plantation britannique d’indigo dans l’actuelle Sierra Leone. Enfin, en avril 1827, il s’incorpore à une caravane mandingue qui démarre de Kakondy (aujourd’hui Boké, en Guinée-Bissau), prétextant être Abd Allahi, un Alexandrin musulman qui veut rentrer chez lui après avoir été enlevé par les troupes bonapartistes (il fallait oser ce genre de bluff biogéographique !). Son périple se fait d’abord vers l’Est, parfois ralenti par la maladie (ainsi, il reste cinq mois arrêté à Timé), puis s’infléchit vers le Nord, jusqu’à Djenné. Là, il embarque sur le fleuve Niger jusqu’à Cabra, le port de Tombouctou. Après un an d’épreuves, il touche enfin au but, et entre à Tombouctou le 28 avril 1828.




C’est donc Caillié qui fut considéré comme le premier non-musulman à entrer dans Tombouctou, et remporta la récompense de la Société de géographie. Pourtant, dans son récit, j’ai été frappé par ce poids qui semble lui tomber sur les épaules lorsqu’il voit la réalité de Tombouctou : rien de merveilleux à ses yeux, mais une ville presque quelconque. Rien à voir avec la ville splendide dont le portrait avait été dessiné par les récits merveilleux de Léon l’Africain ou de Paul Imbert. Ce n’est plus, à ce moment-là, qu’une petite bourgade aux maisons branlantes, écrasée de chaleur et de sécheresse, et à la maigre végétation. Entrer à Tombouctou valait-il vraiment les souffrances endurées à l’aller et celles qui l’attendent, assurément, au retour ?




Après deux semaines à Tombouctou-la-décevante, Caillié repart. Direction plein nord, cette fois, avec une caravane qui traverse le Sahara. De Tanger, au Maroc, Caillié rentre en France, et à Paris où l’accueille le fondateur de la Société de géographie, Edme-François Jomard. Celui-ci aide Caillié à rédiger son Voyage à Tombouctou et à Jenné en Afrique centrale, ouvrage publié en 1830, en trois volumes. Même si ce récit est un succès éditorial, il n’empêche pas les expressions de ses contradicteurs, tant ceux qui mettent en doute sa véracité (dont les Anglais) que ceux qui lui reprochent de s’être converti à l’Islam, ou même d’en avoir simplement fait semblant.
Caillé meurt en 1838, épuisé par toutes les épreuves qu’il aura traversé au cours de sa courte vie : il n’a qu’un peu plus de 38 ans.



Cette aventure de René Caillié et le récit qu’il en fait sont intéressants à plusieurs titres. D’abord, parce qu’au lieu d’une expédition en groupe, avec armes et porteurs, c’est une expédition individuelle, préparée par cette immersion dans les mœurs maures. Ensuite par ce récit riche, souvent touffu, parfois clinique, parfois lyrique. Caillié partage avec son lecteur ses espérances, ses désillusions, ses fatigues, ses fièvres, les vexations et les tracasseries dont il est aussi la victime. Une aventure jusqu’au bout de lui.

Si le voyage de Caillié vers Tombouctou n’a pas encore fait, à ma connaissance, l’objet d’une adaptation ciné ou télé, il y a au moins un reportage de 26 minutes qui s’en est emparé : René Caillié, le livre des sables (Les films du Horla, 2001, réalisation de Patrick Cazals). Ne l’ayant pas vu pour l’instant, je ne pourrai rien en dire ici.
En revanche, je souhaite remette en avant la superbe et libre interprétation en bande dessinée par l’association de Jean-Denis Pendanx (dessin) et Christophe Dabitch (scénario) : les deux tomes d’Abdallahi (éditions Futuropolis, 2006, ISBN 2-75480-013-1 et 2-7548-0070-0).


C’est une libre interprétation en ce sens que qu’elle se ne place pas sur le plan du reportage qui aurait suivi Caillié tout au long de son périple, mais elle nous invite à entrer en Caillié, pour nous faire vivre ce voyage de l’intérieur et ce voyage intérieur. Là où le texte de René Caillié était presque détaché, cette BD donne de la profondeur, de l’humanité, qu’elle soit lumineuse ou sombre. Le traitement des images, en couleurs directes, ne se contente pas d’être photographique, mais apporte une réelle expression et impression, faisant ressentir au lecteur tant la poussière que l’attente, l’eau que l’abattement, la chaleur que le désespoir.


Tout en nous donnant à voir l’Afrique du début du XIXe siècle, ces deux tomes d’Abdallahi nous amènent à explorer tout ce dont Caillié ne nous parle pas directement. Comme si Pendanx et Dabitch avaient exploré l’âme de Caillié pendant que celui-ci explorait ces terres interdites (vous pouvez regarder, à ce sujet, une interview des auteurs). À force de mentir aux autres par nécessité, Caillié a-t-il fini par se mentir à lui-même ?
En lisant ces deux tomes d’Abdallahi, j’ai cru déceler une double déception, dans le parcours de René Caillié : il rêvait d’une cité fabuleuse (puisque interdite), mais il n’a découvert qu’une Tombouctou quelconque, terne ; alors lui, le fils de bagnard, resterait-il toujours prisonnier de cette marque familiale infamante dont il espérait peut-être se laver dans Tombouctou la magnifique ?
Abdallahi se révèle un poignant voyage au cœur de l’Afrique et au cœur de l’homme.



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