dimanche 7 octobre 2012

Ce juge-là me plaît

Les romans de Robert Van Gulik de la série du juge Ti n’ont jamais réussi à m’accrocher. Je les ai trouvés trop artificiels dans leur ton comme dans leur fond. Mais ce n’est pas pour autant que j’ai totalement tourné le dos aux aventures policières dans la « Chine ancienne ». Et la série BD du Juge Bao, aux éditions Fei, m’a été une très bonne surprise, dans le récit comme dans le trait.



Cette série du Juge Bao est la première publiée par les éditions Fei, créées par la Chinoise Xu Ge Fei qui veut bâtir des ponts entre Chine et France par le biais de la culture et de la bande dessinée en particulier. Et la série du Juge Bao est un très bon exemple d’un de ces ponts, puisqu’elle associe un scénariste français, Patrick Marty, et un dessinateur chinois, Chongrui Nie, dans une série qui mêle la culture chinoise et la culture du roman policier à énigme.

Le juge Bao de cette série est un personnage historique, Bao Zheng (999-1062), devenu incarnation légendaire de la justice en Chine. Porté d’abord par la tradition orale, puis par des écrits (à partir du tournant du XVIIe siècle environ), il reste, aujourd’hui encore en Chine, le parangon de la justice incorruptible, à la fois implacable et compréhensive, ne fermant pas les yeux sur les crimes des puissants, et n’avalant pas les couleuvres des culpabilités apparentes des petites gens.



Le juge Bao a reçu de Renzong (Jen-tsung), quatrième empereur de la dynastie Song de la Chine du Nord, la mission de combattre la corruption jusque dans les provinces les plus éloignées de la capitale, contrées dans lesquelles les potentats locaux détournent, à leur profit, les subsides envoyés par l’Empereur pour le développement de ces territoires. Il faut avoir présent à l’esprit que, pendant que notre Europe occidentale, à cette période de « l’an Mil », souffrait encore des suites des guerres, invasions et rivalités des temps post-carolingiens, la Chine des « Song du Nord », qui entrait dans une période de prospérité, était très avancée tant sur le plan des sciences, de la politique, ou encore de l’urbanisme ; sa capitale, alors connue sous le nom de Bianjing (aujourd’hui Kaifeng), comptait près d’un demi-million d’habitants.


Quelques avis publiés sur le net à propos de cette série de BD parlent du juge Bao comme une sorte de Robin des Bois ; erreur majeure puisque Bao était, de fait, un fonctionnaire impérial et non un hors-la-loi provincial (aussi sympathique Robin Hood ait-il pu être).
Pour mener ses enquêtes, Bao bénéficie de l’aide d’une petite troupe particulièrement efficace, incluant un redoutable combattant, un secrétaire médecin légiste, un adolescent débrouillard qui lui sert de page et, bien sûr, quelques solides soldats aptes à manier le bâton, l’épée ou le fouet, pour faire la police. Mais il ne faudrait pas imaginer le juge Bao comme un magistrat enfermé dans son tribunal et laissant ses assistants fouiner, se battre, et appréhender les coupables. Bao, lui, n’hésite pas à mettre la main à la pâte, à plonger au cœur du mystère, à se déguiser pour mieux berner ses suspects.




Le style graphique de Chongrui Nie peut être regardé comme plutôt classique, par rapport à ce que l’on a pu voir dans la bande dessinée, même avec son style hachuré (les bédéphiles se souviennent probablement de la façon dont Antonio Hernandez Palacios dessinait la série Mac Coy). Pourtant, il y a, dans cette série du Juge Bao, une dynamique particulière, et le format original pour nous, lecteurs occidentaux, alors qu’il est traditionnel en Chine (un format 13x18, à l’italienne), y contribue fortement.
Chongrui Nie manie le noir et blanc avec talent, parfois au trait simple, parfois avec des aplats noirs grattés pour faire apparaître le blanc, pour aboutir à une représentation plutôt réaliste des personnages et des décors. Je regrette toutefois que les poses des personnages semblent parfois statiques, comme arrêtées dans les mouvements, presque théâtrales, un peu en contradiction avec les visages auxquels le dessinateur arrive, au contraire, à donner, au fil des albums, beaucoup d’expressivité.



Chaque tome de la série est un petit plaisir à lui seul. Une escapade dans la Chine « antique », des personnages bien tranchés, des intrigues mêlant affaires criminelles (corruption, corruption, prévarication, concussion, extorsion, fausses accusations, enlèvements, etc. - révisez votre vocabulaire judiciaire !) et histoires personnelles, ces intrigues croisées permettant que la trame policière, parfois plutôt simple, ne se révèle pas insipide. Les intrigues mettent en scène des gouverneurs véreux, des marchands avides, des boutiquiers opprimés, des courtisanes élégantes, des assassins de l’ombre, un petit peuple cherchant simplement à survivre. Une part importante est faite aux enfants, qu’ils soient page du juge Bao, mendiants de rue, ou victimes de querelles familiales, et aux femmes, tant fortes que faibles, séductrices fatales ou objets de mariages arrangés.
Mais, les quatre tomes déjà parus laissent entrevoir qu’ils sont tous construits autour des mêmes procédés. Qui sait si cela n’entraînera pas, au fil des 9 tomes qui la composeront au final, une certaine lassitude des lecteurs ?



Ces intrigues peuvent accrocher les lecteurs d’aujourd’hui autant que les histoires du juge Bao ont régalé des Chinois depuis le XIe siècle parce que ces histoires sont d’actualité quelles que soient les époques. Par-delà les éléments qui l’ancrent dans la Chine des Song du Nord, cette série nous racontent des histoires d’aujourd’hui et titillent nos rêves d’un monde plus juste et plus propre.
Qui pourrait, aujourd’hui, être notre juge Bao ?

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La publication de la série de BD du juge Bao est aujourd’hui terminée en Chine, et comporte 9 albums. Pour l’instant, 4 albums sont parus en France : Juge Bao et le Phœnix de jade (tome 1, 2010, ISBN 978-2-35966-000-5), Le roi des enfants (tome 2, 2010, ISBN 978-2-359-66001-2), La belle empoisonnée (tome 3, 2011, 978-2-359-66006-7), L’auberge maudite (tome 4, 2012, 978-2-359-66007-4).

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Pour aller plus loin :
- une interview du scénariste et du dessinateur sur bscnews.fr
- une interview du scénariste sur actuabd.com


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Pour les allergiques à la BD, les aventures du juge Bao existent aussi en romans : Shi Yukun, Les plaidoiries du juge Bao / Le juge Bao et le plaidoyer des fantômes (éditions You Feng, 2005, ISBN 9782842791971) et Le Juge Bao et l'impératrice du silence (éditions You Feng, 2006, ISBN 2-84279-209-2).




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2 commentaires:

  1. Bonjour Xavier, bienvenue dans le Dragon 2012 et merci pour cette belle note de lecture ! Bonne continuation et bonne semaine.

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  2. Merci. D'autres billets vont suivre !

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