Les romans de Robert Van Gulik de la série du juge Ti n’ont
jamais réussi à m’accrocher. Je les ai trouvés trop artificiels
dans leur ton comme dans leur fond. Mais ce n’est pas pour autant
que j’ai totalement tourné le dos aux aventures policières dans
la « Chine ancienne ». Et la série BD du Juge Bao, aux
éditions Fei, m’a été une très bonne surprise, dans le récit
comme dans le trait.
Cette série du Juge
Bao est la première
publiée par les éditions
Fei, créées par la Chinoise Xu Ge Fei qui veut bâtir des ponts
entre Chine et France par le biais de la culture et de la bande
dessinée en particulier. Et la série du Juge Bao
est un très bon exemple d’un de ces ponts, puisqu’elle associe
un scénariste français, Patrick Marty, et un dessinateur chinois,
Chongrui Nie, dans une série qui mêle la culture chinoise et la
culture du roman policier à énigme.
Le juge Bao de cette série est un personnage historique, Bao
Zheng (999-1062), devenu incarnation légendaire de la justice en
Chine. Porté d’abord par la tradition orale, puis par des écrits
(à partir du tournant du XVIIe siècle environ), il reste,
aujourd’hui encore en Chine, le parangon de la justice
incorruptible, à la fois implacable et compréhensive, ne fermant
pas les yeux sur les crimes des puissants, et n’avalant pas les
couleuvres des culpabilités apparentes des petites gens.
Le juge Bao a reçu de Renzong (Jen-tsung), quatrième empereur de
la dynastie Song de la Chine du Nord, la mission de combattre la
corruption jusque dans les provinces les plus éloignées de la
capitale, contrées dans lesquelles les potentats locaux détournent,
à leur profit, les subsides envoyés par l’Empereur pour le
développement de ces territoires. Il faut avoir présent à l’esprit
que, pendant que notre Europe occidentale, à cette période de
« l’an Mil », souffrait encore des suites des guerres,
invasions et rivalités des temps post-carolingiens, la Chine des
« Song du Nord », qui entrait dans une période de
prospérité, était très avancée tant sur le plan des sciences, de
la politique, ou encore de l’urbanisme ; sa capitale, alors
connue sous le nom de Bianjing (aujourd’hui Kaifeng), comptait près
d’un demi-million d’habitants.
Quelques avis publiés sur le net à propos de cette série de BD
parlent du juge Bao comme une sorte de Robin des Bois ; erreur
majeure puisque Bao était, de fait, un fonctionnaire impérial et
non un hors-la-loi provincial (aussi sympathique Robin Hood ait-il pu
être).
Pour mener ses enquêtes, Bao bénéficie de l’aide d’une
petite troupe particulièrement efficace, incluant un redoutable
combattant, un secrétaire médecin légiste, un adolescent
débrouillard qui lui sert de page et, bien sûr, quelques solides
soldats aptes à manier le bâton, l’épée ou le fouet, pour faire
la police. Mais il ne faudrait pas imaginer le juge Bao comme un
magistrat enfermé dans son tribunal et laissant ses assistants
fouiner, se battre, et appréhender les coupables. Bao, lui, n’hésite
pas à mettre la main à la pâte, à plonger au cœur du mystère, à
se déguiser pour mieux berner ses suspects.
Le style graphique de Chongrui Nie peut être regardé comme
plutôt classique, par rapport à ce que l’on a pu voir dans la
bande dessinée, même avec son style hachuré (les bédéphiles se
souviennent probablement de la façon dont Antonio Hernandez Palacios
dessinait la série Mac Coy).
Pourtant, il y a, dans cette série du Juge Bao, une dynamique
particulière, et le format original pour nous, lecteurs occidentaux,
alors qu’il est traditionnel en Chine (un format 13x18, à
l’italienne), y contribue fortement.
Chongrui Nie manie le noir et blanc avec talent, parfois au trait
simple, parfois avec des aplats noirs grattés pour faire apparaître
le blanc, pour aboutir à une représentation plutôt réaliste des
personnages et des décors. Je regrette toutefois que les poses des
personnages semblent parfois statiques, comme arrêtées dans les
mouvements, presque théâtrales, un peu en contradiction avec les
visages auxquels le dessinateur arrive, au contraire, à donner, au
fil des albums, beaucoup d’expressivité.
Chaque tome de la série est un petit plaisir à lui seul. Une
escapade dans la Chine « antique », des personnages bien
tranchés, des intrigues mêlant affaires criminelles (corruption,
corruption, prévarication, concussion, extorsion, fausses
accusations, enlèvements, etc. - révisez votre vocabulaire
judiciaire !) et histoires personnelles, ces intrigues croisées
permettant que la trame policière, parfois plutôt simple, ne se
révèle pas insipide. Les intrigues mettent en scène des
gouverneurs véreux, des marchands avides, des boutiquiers opprimés,
des courtisanes élégantes, des assassins de l’ombre, un petit
peuple cherchant simplement à survivre. Une part importante est
faite aux enfants, qu’ils soient page du juge Bao, mendiants de
rue, ou victimes de querelles familiales, et aux femmes, tant fortes
que faibles, séductrices fatales ou objets de mariages arrangés.
Mais, les quatre tomes déjà parus laissent entrevoir qu’ils
sont tous construits autour des mêmes procédés. Qui sait si cela
n’entraînera pas, au fil des 9 tomes qui la composeront au final,
une certaine lassitude des lecteurs ?
Ces intrigues peuvent accrocher les lecteurs d’aujourd’hui
autant que les histoires du juge Bao ont régalé des Chinois depuis
le XIe siècle parce que ces histoires sont d’actualité quelles
que soient les époques. Par-delà les éléments qui l’ancrent
dans la Chine des Song du Nord, cette série nous racontent des
histoires d’aujourd’hui et titillent nos rêves d’un monde plus
juste et plus propre.
Qui pourrait, aujourd’hui, être notre juge Bao ?
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La publication de la série de BD du juge Bao est aujourd’hui
terminée en Chine, et comporte 9 albums. Pour l’instant, 4 albums
sont parus en France : Juge
Bao et le Phœnix de jade
(tome 1, 2010,
ISBN 978-2-35966-000-5), Le roi des enfants (tome 2, 2010,
ISBN 978-2-359-66001-2), La belle empoisonnée (tome 3, 2011,
978-2-359-66006-7), L’auberge maudite (tome 4, 2012,
978-2-359-66007-4).
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Pour aller plus loin :
- une interview du scénariste et du dessinateur sur bscnews.fr- une interview du scénariste sur actuabd.com
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Pour les allergiques à la BD, les aventures du juge Bao existent
aussi en romans :
Shi Yukun, Les plaidoiries du juge Bao / Le juge Bao et le plaidoyer
des fantômes (éditions You Feng, 2005, ISBN 9782842791971) et Le
Juge Bao et l'impératrice du silence (éditions You Feng, 2006, ISBN
2-84279-209-2).
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Défis. Ce billet répond aux défis suivants :
Bonjour Xavier, bienvenue dans le Dragon 2012 et merci pour cette belle note de lecture ! Bonne continuation et bonne semaine.
RépondreSupprimerMerci. D'autres billets vont suivre !
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