dimanche 28 juillet 2013

Enquêtes en babouches

C’est avec The Janissary Tree (2006 ; publié en français sous le titre Le complot des janissaires, 2007, éditions Plon, 10/18, collection Grands détectives, ISBN 978-2-259-20316-6) que j’ai découvert la série de polars historiques écrite par Jason Goodwin. Puis, j’ai poursuivi avec Le mystère Bellini (2010, éditions Plon, 10/18, collection Grands détectives ISBN 978-2-264-05071-7 ; en version originale, The Bellini Card, 2008) et, tout récemment, avec Mauvais œil (2012, éditions Plon, 10/18, collection Grands détectives, ISBN 978-2-259-21016-4) ; An Evil Eye en VO, 2011).


Cette série, ou tout au moins les 3 romans que j’en ai lus, sur les 4 publiés pour l’instant, m’a accroché à la fois par son décor et par ses personnages.

Son décor est l’empire ottoman dans le premier tiers du XIXe siècle. La « Sublime Porte » est, alors, à une époque paradoxale de son histoire. Elle n’est plus, loin s’en faut, la grande puissance méditerranéenne qu’elle a été aux siècles précédents : de plus en plus de territoires sous son contrôle ont secoué le joug ottoman, certains obtenant même leur indépendance (la Grèce, par exemple) ou se comportant comme tels (l’Égypte) ; qui plus est, les caisses de l’État sont vides. Le voisin russe ne cache pas ses appétits pour les territoires turcs, et la Turquie doit se trouver des protecteurs européens (la France, le Royaume-Uni) pour s’en protéger. Un secours qui lui fait perdre d’autres territoires, qui passent sous le contrôle de ces « chers » alliés. Pourtant, d’un autre côté, c’est aussi la période où l’Empire ottoman entame une évolution forte (certains parlent de « modernisation ») de son administration, de son armée, etc. Ce qui ne manque pas d’engendrer des dissensions, au sein de la société ottomane, entre tenants de la « tradition » et tenants de la « modernité ». Ce décor est donc un terreau favorable aux intrigues, tant domestiques que diplomatiques, des salons du harem aux boutiques des souks, des couloirs du palais aux venelles populeuses.


Quant à ses personnages, c’est une foule bigarrée à l’image de cette ville que nous peint Goodwin. Et le premier d’entre eux n’est pas le moins surprenant. Hachim (Yashim, en VO), le « héros » de cette série – le détective, comme il se doit, dénoueur des intrigues pour le compte du Palais – n’est autre qu’un eunuque. Homme qui n’en est plus tout à fait un, il peut se glisser partout, y compris au cœur du harem, dans les appartements réservés aux femmes. Pleinement turc, il sait sentir le pouls qui bat dans la ville. Homme de culture, il est également capable de côtoyer, voire d’affronter, les représentants des puissances étrangères.
Parmi ces derniers, Stanislaw Palewski, étonnant représentant diplomatique d’une Pologne qui, de fait, n’existe pas, dépecée qu’elle a été entre Russie, Prusse et Autriche, mais qui s’accroche à son idée d’une Pologne réunifiée. Hicham et Palewski forment un étonnant duo, l’un travaillant pour le vizir d’un État en plein bouleversement, l’autre pour un pays qui espère un avenir.
Et derrière ce duo de premier-plan, une riche distribution de rôles. Personnages savoureux, du sultan aux vendeurs d’eau, des favorites du sultan aux courtisanes, des officiers turcs aux officiers russes, des lettrés aux proxénètes.
Istanbul est alors à la fois un décor et un acteur kaléidoscopiques, et cette richesse se retrouve ailleurs, comme à Venise où l’une des enquêtes (Le mystère Bellini) conduit Hicham.

Les trois romans que j’ai lus partagent cette ambiance riche, ces galeries de personnages attachants (même ceux que l’on s’attache à détester), ces intrigues dans le palais et hors du palais, sans pour autant que j’y aie trouvé des redondances ou des similitudes marquées. Un dépaysement bien sympathique.


Le bémol vient plutôt des intrigues elles-mêmes, et de la façon dont elles sont conduites et contées. Leurs fins me semblent précipitées, presque bâclées, avec une avalanche d’informations arrivant tardivement et éclairant, tout à trac, ce que le lecteur n’avait pu comprendre jusque-là. Pas tout à fait comme dans les romans d’Agatha Christie, mais pas loin (et comme je ne suis pas client des romans d’Agatha Christie…). Le complot des Janissaires me semble, en cela, le moins bon des trois ; Le mystère Bellini moins brouillon, même s’il reste touffu ; quant à Mauvais œil, les éléments « géopolitiques » de son intrigue ont réussi à garder mon attention jusqu’au bout, même si ce bout est, lui aussi, plutôt précipité.




Autre bémol, plus anecdotique, et sous forme de question : pourquoi certains auteurs de polars se sentent-ils obligés de faire de leurs personnages des gastronomes qui cuisinent – ou se font expliquer des recettes – trois ou quatre fois par roman ? Cela me paraissait sympathique quand j’avais découvert, dans les années 1980, le détective privé né sous la plume de Manuel Vázquez Montalbán, Pepe Carvalho, fine bouche et cordon bleu. Mais, à force d’en croiser dans les romans (la série des Nero Wolfe de Rex Stout ; les Stanley Hastings par Parnell Hall ; les Nicolas Le Floch de Jean-François Parot), la BD (la série Tony Chu détective cannibale de Rob Guillory et John Layman ; l’Agent de la National de Sampayo et Schiaffino), le cinéma (Blind Detective, de Johnny To), je dois dire que ça me lasse un peu.



* * * * *

 Défis. Ce billet répond aux défis suivants :


 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire