Je n’ai jamais mis une semelle de chaussure, un
pied de cheval ou une roue de moto en Mongolie. L’envie ne m’en
manque pas, mais le voyage ne s’est pas encore fait, si ce n’est
au travers de livres, de photos, de reportages télévisés. Un de
mes guides dans ce genre de voyage est l’écrivain Galsan
Tschinag, que j’avais découvert grâce aux
éditions Picquier, et à mes deux premières lectures de récits
sous sa plume, Belek, une chasse dans le Haut Altaï,
et La fin du chant.
Avec Die Karawane (1997 ; La
caravane, publié en français aux éditions L’esprit des
péninsules en 2006, et chez Picquier Poche en 2011, ISBN
978-2-8097-00328-3), c’est un voyage très particulier que Galtsan
Tchinag nous raconte. Le récit en est d’autant plus particulier
que Tschinag est à la fois l’organisateur de ce voyage et son
narrateur.
Mais le mot « voyage » est trop
faible. Plus qu’un récit de voyage, c’est un récit de migration
d’un peuple. Mais pas une migration saisonnière dont les peuples
nomades sont coutumiers. Ni une de ces migrations forcées, bien
hypocritement appelées « déplacements de populations »,
conséquences de guerres ou d’« épurations ethniques »
(expression immonde qui laisse penser que certains constituent des
impuretés).
Cette « caravane » d’hommes, femmes,
enfants, chevaux et chameaux, c’est celle par laquelle Galsan
Tschinag ramène une partie de son peuple, les Mongols Touvas, jusque
dans leur territoire d’origine, le district de Tshengel dans le
Haut-Altai, le plus occidental des 21 districts de Mongolie. Tschinag
s’était fait cette promesse à lui-même, pour « corriger »,
à sa manière, la dispersion territoriale dont les Touvas avaient
été les victimes pendant l’ère sombre du communisme en Mongolie.
Le livre est fort, et dérangera peut-être
certains lecteurs, non seulement par sa structure mais également par
le ton de l’auteur.
La première moitié du livre replace le lecteur
dans le contexte historique, géographique, politique,
ethnographique, de cette drôle d’épopée, en aller-retour depuis
les années sombres du joug des commissaires politiques jusqu’aux
derniers préparatifs de la caravane. Tschinag est un personnage
essentiel de cette partie du récit, mais il apparaît comme
distancié de l’auteur, qui parle de lui-même à la troisième
personne, sans utiliser son nom d’auteur.
Et la deuxième partie est le récit quotidien de
cette migration, du 3 mai 1995 au 11 juillet suivant. Et là,
Tschinag passe au « je », partageant avec le lecteur des
images objectives et suggestives, ses élans et ses doutes, des
scènes tragi-comiques et des réflexions profondes sur ces peuples
pris entre leurs racines nomades et le confort piégeur et
« déculturant » de la sédentarisation.
Ce qui peut dérouter, c’est la franchise avec
laquelle Galsan Tschinag expose son ambition et son regard sur les
Touvas.
Son ambition ? Rien moins que celle-ci, qui
ouvre le prologue : « Je veux écrire une page
d’Histoire ». Et qui revient en ouverture de l’épilogue :
« J’ai voulu écrire une page d’Histoire. Voilà qui est
fait. »
Quant aux Touvas qu’il ambitionne de réveiller
pour cette migration de retour, Tschinag les dépeint abrutis
d’alcool, chapardeurs, fainéants.
Alors, Galsan Tschinag, mégalomane et méprisant ?
Je ne l’ai pas ressenti comme cela, au final, même si certains
passages du livre sont cinglants. Il me semble qu’il s’agit
plutôt d’un homme porté par un projet un peu fou, et pleinement
décidé à sortir une partie de son peuple de ce qui lui semble une
déchéance, pour lui redonner une dignité et un avenir (et pas
seulement un retour dans le passé).
Tschinag aiguillonne les Touvas, et en cela il
aiguillonne aussi l’esprit des lecteurs. Il nous fait quitter notre
zone de confort, et c’est salutaire, même si ça peut déranger.
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Défi. Ce billet répond au défi suivant :
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