lundi 31 décembre 2012

Le dernier bouclier

Juge antimafia, en Italie (comme ailleurs), est une profession à risque. À risque mortel, s’entend. Les noms de Giovanni Falcone, assassiné le 23 mai 1992, de Francesca Laura Morvillo-Falcone, son épouse et magistrate elle aussi, assassinée dans le même attentat, ou de Paolo Borsellino, assassiné le 19 juillet 1992, témoignent, parmi d’autres, de l’état de cible à abattre que représentent ces empêcheurs de corrompre et trafiquer en rond.
Pourtant, c’est une perspective un peu différente que je choisis de suivre, pour ce billet, pour jeter un petit coup de projecteur sur ceux qui choisissent de s’interposer entre ces cibles et ceux qui veulent les abattre. Oh, bien sûr, contre des attentats à la voiture piégée par 500kg d’explosifs, ce n’est pas la présence d’un, deux ou dix gardes du corps qui va changer la donne. Pourtant, des hommes et de femmes décident de jouer ce rôle de rempart, au péril de leur vie. Un péril tout à fait réel : trois membres de l’escorte des Falcone, et cinq de celle de Borsellino tombent avec ceux qu’ils ont fait serment de protéger.



Et pour illustrer ce lien entre ces juges et leurs boucliers humains, j’ai retenu le film La scorta / L’escorte (1993) de Ricky Tognazzi, tourné alors que le souvenir des attentats contre les Falcone et Borsellino était encore vivace. Présenté dans la Sélection officielle à Cannes (une distinction qui vaut ce qu’elle vaut, ni plus ni moins), et Grand prix du Festival du film policier de Cognac, ce film est, de l’aveu du réalisateur, fortement inspiré d’une rencontre avec le juge antimafia Francesco Taurisano.


Sans se prétendre un reportage réaliste, le film nous invite tout de même à découvrir les relations d’un juge avec les membres de son escorte, en les englobant dans une perspective plus large, celle de ce groupe (le juge, sa famille, les carabiniers qui les protège) formant une sorte d’île assiégée par un océan de menaces avérées ou supposées. Le titre du film ne ment pas, puisque c’est bien au travers des yeux des membres de l’escorte que l’on suit l’affaire. Certes, la mission du juge n’est pas occultée (il enquête sur des magouilles dans l’adduction d’eau, un élément crucial en Sicile), mais ce n’est pas la pièce centrale de l’échiquier.

La scorta peint ces gardes-du-corps un tantinet caricaturaux (l’effacé, le rouleur de mécaniques, le père de famille, etc.), mais qui prennent de la profondeur au fil de cette histoire. Leur jeunesse contraste avec la maturité du juge, et tandis que l’escorte tente d’apporter au juge la sécurité (ou, au moins, une touche de sécurité), le juge semble apporter à ces carabiniers un esprit plus posé.
Ici, pas d’ouragan de coups de feu, pas de poursuites effrénées, et pourtant une tension permanente, celle de la sentinelle qui se demande d’où et quand viendra le danger, et qui est l’ennemi. Une tension qui use tant le juge que son escorte, et qui se fait de plus en plus pesante. Jusqu’à une conclusion qui, sans être le bain de sang que l’on pouvait redouter, n’en reste pas moins une défaite de la justice face à la pieuvre mafieuse.



En tant que spectateur, je me suis senti tendu, mais pas écrasé par l’ennui. Bien au contraire. Un film à conseiller à ceux qui apprécient les « polars psychologiques ».


Quant à ceux qui voudraient voir un film sur le juge Falcone, je ne peux que recommander Giovanni Falcone (1993), de Guiseppe Ferrara, une œuvre peut-être moins connue en France que son Cento giorni a Palermo / Cent jours à Palerme (1984) qui tournait autour des derniers temps du général des carabiniers Carlo Dalla Chiesa, assassiné, avec son épouse et un garde du corps, le 3 septembre 1982.



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Défis. Ce billet répond au défi suivant :

 

2 commentaires:

  1. Un film que je ne connaissais pas mais que j'espère découvrir bientôt ! Belle année 2013 à toi !!

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    1. Ces "défis littéraires" sont, pour moi, des occasions d'essayer de jeter un coup de projecteur sur des livres ou films parfois méconnus. Ton défi "Justice" était déjà, lui-même, original, alors il me semblait opportun d'y répondre avec des pièces variées et pas trop ordinaires !

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