La lecture de Casanova et la femme sans visage avait été
une surprise plutôt agréable. Un roman policier dix-huitiémiste
où l’auteur conviait, en personnages de premier plan (hors les
deux « héros »), Sartine, Casanova et le comte de
Saint-Germain. Du beau linge, et une intrigue qui ne s’essoufflait
pas au fil des pages. Je me suis donc laissé aller à lire un
deuxième roman d’Olivier Barde-Cabuçon de cette série de
polars du « commissaire aux morts étranges » sous le
règne de Louis XV : Messe noire (éd. Actes Sud,
collection Babel Noir, 2013, 978-2330-02698-1 ; fiche de présentation sur le site de l’éditeur).
Le titre du roman est celui de la scène qui l’ouvre : une
froide nuit d’hiver, un cimetière, le corps d’une enfant, et les
restes d’une probable messe noire interrompue en cours de rituel.
Les indices sont minces, mais le chevalier de Volnay et son étrange
acolyte, duo dont on a fait connaissance dans le premier volume de la
série, ne se laisseront pas décourager par cette minceur.
Accompagnés d’une certaine Hélène de Troie (un pseudonyme,
pensez-vous?) que Sartine, devenu lieutenant général de police leur
a mis dans les pattes, ils se lancent sur la piste des satanistes.
« En haut lieu », on ne se réjouit pas à la
perspective d’une résurgence d’une affaire sulfureuse comme
celle des Poisons, qui avait secoué le règne de Louis XIV jusque
dans l’entourage direct du roi. L’enquête de Volnay et du moine
prend donc un tour politique, et dans ce genre d’ambiance, il y a
de quoi se demander qui veut vraiment que la vérité éclate, et qui
préfère que les vilaines histoires restent dans l’ombre.
Je ne déflorerai pas les dessous de l’intrigue, et me
contenterai de dire que, jusqu’à une cinquantaine de pages de la
fin du roman, j’étais bien content de ma lecture. Même si, comme
dans une proportion non négligeable de « polars à énigmes »,
les enquêteurs ont souvent un peu trop de chance, un peu trop de
facilité à extrapoler avec justesse à partir de bribes
d’information, un peu trop de capacité à survivre, les armes à
la main, à des adversaires bien meilleurs bretteurs qu’eux. Et,
dans ces « enquêtes du commissaire aux morts étranges »,
comme dans d’autres polars historiques (la série mettant en scène
Nicolas Le Floch, par exemple, pour en citer une dont l’arrière-plan
historique est similaire), une propension à être très en avance
sur leur temps, que ce soit sur le plan de la pensée politique ou
des sciences médico-légales.
Passant par-dessus ces petits défauts souvent inhérents à ce
genre de roman où se croisent les styles « polar » et
« roman de cape et d’épée », je ne boudais pas mon
plaisir. Et là, dans la dernière ligne droite, paf ! Le genre
de chapitre qui me reste toujours en travers de la gorge : le
chapitre où l’auteur, par la voix de l’enquêteur qui a tout
compris et du coupable qui avoue tout, repasse en revue toutes les
pièces du puzzle qu’il avait semées sous les yeux du lecteur, et
explique audit lecteur toute la finesse du plan du méchant et toute
la finesse encore plus grande de l’enquêteur qui a vu clair dans
le jeu du méchant. Bon sans de bon sang, j’en suis arrivé à
détester ces étalages artificiels. En tant que lecteur, j’accepte
pleinement de me faire entourlouper par un auteur ; comme, en
tant que spectateur, j’accepte pleinement de me faire entourlouper
par un scénariste (comme Christopher McQuarrie pour Usual
Suspects). Quand c’est le cas, j’applaudis : je perds le
combat (de l’esprit) avec fair-play. Mais ce « chapitre
explicatif » si caractéristique des « romans policiers à
énigme » déclenche, chez moi, une réaction allergique.
Je suis peut-être comme un buveur qui sait que sa bouteille de
gnôle lui donnera un mal de crâne carabiné le lendemain matin mais
qui la boit quand même parce qu’il a du mal à s’en passer. Je
sais que le chapitre final d’un roman à énigme, le
chapitre-qui-vous-dit-tout, me donnera la gueule de bois. Et
pourtant, je me laisse aller à en lire encore un, de temps en temps.
Mais il me faut du temps pour faire passer la gueule de bois.
Surtout quand c’est juste le dernier verre de la bouteille qui me
donne un coup derrière la tête.
Cette Messe noire était savoureuse... jusqu’au moment où
le barman, à qui je demandais juste de me servir mon poison, s’est
mis en tête de me faire la leçon, et j’ai ressenti qu’il me
prenait pour un demeuré. C’est peut-être parce que les premiers
verres m’avaient suffisamment grisé pour que j’oublie les petits
trucs pas trop crédibles et que je me laisse porter par l’histoire.
Mais le dernier verre m’a, paradoxalement, dégrisé et assommé à
la fois.
Messe noire (prix Historia du roman policier en 2013) est un bon roman à énigme.
C’est moi qui ne suis pas fait pour les romans à énigme. Ou
pas fait pour le chapitre final des romans à énigme. Le prochain
que je lirai me le dira peut-être. Allez savoir !
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