Quand je lis, sur un bandeau ajouté
par l’éditeur sur un livre, « un jeu de séduction qui
rappelle Les Liaisons dangereuses », citation d’un
auteur dont l’unique roman publié (unique, à ma connaissance au
moins), The Rule of Four, a été comparé au Da Vinci Code
de Dan Brown, j’ai tendance à me moquer. D’abord parce que
prendre comme témoin de qualité d’un roman un auteur dont le
roman a été comparé à ce grand n’importe quoi, ça a peu de
chance de me convaincre. Ensuite parce que les éloges des auteurs
les uns envers les autres, ce sont, au mieux, des échanges de bons
procédés (« je dis du bien de toi aujourd’hui, tu en diras
de moi demain ») et, au pire, de la publicité mensongère.
Ma curiosité pour les romans ayant
pour cadre le XVIIIe siècle m’a tout de même poussé à lire The
Scandal of the Season / Le scandale de la saison
de Sophie Gee (Chatto & Windus, 2007 ; édition française
chez Philippe Rey, 2009, ISBN 978-2-84876-132-9 ; collection
Points, n° P2424, ISBN 978-2-7578-0964-8).
Effectivement, ce roman m’a rappelé
Les liaisons dangereuses... pour me faire penser que le roman
de Sophie Gee n’arrive pas à la cheville de celui de Choderlos de
Laclos. Il ne suffit pas de raconter quelques chassés-croisés de
séduction au siècle des Lumières pour jouer dans la cour des
grands. Ce Scandale de la saison n’a rien de scandaleux, et
son souvenir ne durera pas plus d’une saison. Le genre de roman qui
s’oublie plus vite qu’on ne le lit.
Comme je ne suis pas membre d’un
forum littéraire dont les membres reçoivent gratuitement des livres
de la part d’éditeurs pour les chroniquer, ni rédacteur d’un
magazine qui bénéficie d’un « service presse » de la
part desdits éditeurs, je ne me sens redevable à personne, et j’ai
donc toute liberté d’expression pour dire mes coups de cœur et
mes coups de gueule. Ici, c’est nettement un coup de gueule.
Encore une flagrante démonstration
qu’un roman écrit par une universitaire spécialiste d’un sujet
n’est pas forcément un bon roman sur le sujet, quand bien même
l’auteur en question enseignerait à Princeton. Récit sans rythme,
mornement répétitif, tissé de dialogues le plus souvent poussifs,
avec des intrigues sentimentales cousues de fil blanc, ce Scandale
de la saison n’a absolument rien du « roman libertin »
que certains commentateurs se prennent à y voir.
Certes, ce roman brosse un portrait
d’une certaine société londonienne, contemporaine de celle de
notre « Régence » française, où l’esprit essaie de
surnager dans les flots du paraître, et où les belles femmes aiment
à faire soupirer leurs soupirants mais sans leur céder sous peine
de déchoir.
Certes, ce roman nous donne à
connaître quelques figures de cette société, du poète Alexandre
Pope au peintre Charles Jervas, en passant par Robert, qui était à
la fois Lord Petre et homme à femmes, et la belle Arabella Fermor, à
laquelle Lord Petre coupa publiquement une mèche de cheveux,
dévoilant ainsi au public qu’elle était sa maîtresse et créant
le scandale de la saison 1711.
Ajoutons à cela une pointe d’intrigues
politiques, avec quelques soubresauts de la rébellion jacobite (les
Jacobites, partisans du retour, sur le trône d’Angleterre, du roi
James VII d’Écosse ou de ses descendants, se sont soulevés à
plusieurs reprises entre 1688 et 1746, et notamment en 1715).
Cela aurait pu donner un « bon
roman historique », un agréable divertissement, quand bien
même il n’aurait pas été porté par une langue ciselée, par un
esprit brillant. Quelques autres plumes ont su le faire et, sans
remonter à Dumas, je peux citer, parmi bien d’autres, Hubert
Monteilhet avec Néropolis (1984), Ken Follet avec The
Pillars of the Earth / Les piliers de la terre (1989),
Iain Pears avec An Instance of the Fingerpost / Le cercle
de la croix (1997), ou encore, pour un roman se déroulant dans
l’Angleterre du début du XVIIIe siècle, A conspiracy of paper
/ Une conspiration de papier (2000) de Davis Liss.
Mais ici, la mayonnaise – ou plutôt
le pudding – ne prend pas.
L’intrigue politique, que l’auteur
essaie de tisser au reste du roman, n’est qu’un prétexte au fil
du texte, et se résout en trois coups de cuiller à pot à la fin du
roman. Quant aux intrigues « amoureuses », elles frôlent
la mièvrerie la plus convenue.
Quand je vois que Le magazine
littéraire y a trouvé « une admirable fantaisie
historique à mi-chemin entre le roman à clé et la comédie de
mœurs », et Livres Hebdo « un petit bijou de
finesse, d’impertinence et de libertinage », je me demande si
nous avons la même perception des mots « admirable »,
« finesse », « impertinence » et
« libertinage ».
Roman poussif à l’eau de rose,
faussement (voire trompeusement) qualifié de « roman
libertin », il me faudra moins d’une saison pour oublier ce
Scandale de la saison.
* * * * *
Défis. Ce billet répond au défi suivant :
Voilà qui a le mérite d'être clair...ce roman-là n'ira pas rejoindre ma pile des "à lire".
RépondreSupprimerMerci pour ce billet !
Tu me connais, compère : quand j'aime, je le dis, et quand je n'aime pas, je le dis aussi.
SupprimerEt si, en plus, ça peut rendre service... ;-)
Décidément, ce roman accumule tous les procédés publicitaires possibles pour me faire fuir... En universitaire puriste et bornée, je limite l'appellation "roman libertin" au 18e siècle (un siècle assez long et qui dépasse un peu ses bornes purement mathématiques, mais qui n'arrive pas jusqu'au 20e ou 21e siècle) ; je suis une admiratrice inconditionnelle et intransigeante des Liaisons dangereuses, donc tout roman se plaçant dans sa lignée se condamne lui-même à n'être "que" dans la lignée et à souffrir de la comparaison ; le titre, très racoleur, m'a immédiatement fait penser aux romans à l'eau de rose que je lisais dans ma jeunesse (là, il tient ses promesses manifestement, mais ma jeunesse est passée). Bref, je crois que ce roman ne serait jamais arrivé entre mes mains ou n'y serait pas resté longtemps.
RépondreSupprimerBravo pour avoir terminé ce roman si poussif apparemment et surtout pour ce billet encore une fois très bien présenté et argumenté.
Ayant la faiblesse de croire que ne suis, moi-même, ni puriste ni borné (et me refusant à prendre le risque de vous laisser penser que j'opine du bonnet quand vous dites que vous l'êtes !), je suis prêt à appeler "roman libertin" un roman qui serait dans l'esprit de ces romans dix-huitiémistes sans chercher à les singer. Mais, évidemment, il y aura toujours la tentation de la comparaison, et il faut donc tracer sa propre voie.
SupprimerAinsi, dans un autre genre, Arturo Pérez Reverte a su créer, avec sa série de romans sur le capitaine Alatriste, un univers de cape et d'épée qui n'est ni une imitation ni un pastiche des romans de Dumas.
Pour en revenir à ce Scandale de la saison, il est beaucoup trop convenu pour être un roman libertin. Il ne bouscule aucune convenance sociale, aucun dogme religieux. Je ne l'ai même pas trouvé mordant dans son style, dans ses dialogues.
Il n'a pas grand-chose, non plus, d'un badinage. "Bavardage", peut-être, mais pas vraiment plus.
Mais que ne ferais-je pas pour explorer quelques chemins de traverse dans le cadre de ce défi "Badinage & libertinage" ! ;-)
Bonsoir,
RépondreSupprimerC'est pas l'intermédiaire du blog et du challenge de Minou que j'ai découvert ce livre et la critique qui va avec.
Cela ne me donne pas l'envie de l'inscrire dans ma wishlist !
"Les liaisons" je l'ai lu, même si j'ai parfois eu du mal à avancer. Il est impossible de faire dans le même style, ce ne serait que du plagiat car il est unique.
Belette (The cannibal lecteur)
Bonsoir et bienvenue par ici !
SupprimerJe n'oblige personne à être de mon avis, surtout AVANT d'avoir lu le roman ; alors si l'envie de lire ce livre vous vient, foncez et lisez (mais ne venez pas ensuite vous plaindre que je ne vous avais pas prévenue ;-) ).